Gattaca, c'est la société parfaite. Parce que les hommes y sont parfaits (les femmes aussi, même si c'est plus difficile à concevoir). Comment arrive-t-on à un tel résultat ? C'est bien simple : en faisant mieux que la nature. La conception "naturelle" des enfants a quasiment disparu, cédant la place à des enfants "clés en main", des EGM débarrassés des risques inhérents à l'hérédité. Pas de maladies, pas de défauts. Pas de surprises.
Bien entendu, on n'a pas pu éliminer complètement le libre arbitre des parents qui, parfois, par accident, par folie peut-être, donnent naissance à des enfants "naturels". Fort heureusement, l'organisation sociale de Gattaca permet de laisser sur le bord de la route ces enfants du risque. Par un astucieux système de discrimination, seuls les enfants "parfaits" sont jugés aptes aux meilleurs emplois, aux meilleurs places dans la société. Les autres sont rejetés à des postes dégradants.
A première vue, la cible du film est assez claire. Les systèmes politiques discriminants, les fascismes de tout poil sont dans la ligne de mire du cinéaste. La volonté de créer une société parfaite avec des humains parfaits, on a déjà entendu ça. La volonté de créer une société pure, ça fait plus peur encore.
Dont, Gattaca, c'est ailleurs. Gattaca, c'est le Reich. Gattaca, c'est le passé et la peur d'un avenir génétiquement modifié, où la science se serait transformée en une religion totalitaire, un dogme.
Enfin...
Si on y réfléchit bien...
Notre système social actuel ne favoriserait-il pas ces formes de discriminations larvées ? Quelqu'un qui n'est pas né dans les bonnes conditions (sociales) a-t-il une réelle chance de parvenir ? C'est, certes, encore plus flagrant quand on regarde les USA, mais ne nous leurrons pas : le mythe du personnage qui réussit uniquement grâce à sa volonté et à son travail, c'est une belle légende, dans un monde où tout est fait pour que les élites restent entre elles et que le monde des dirigeants ne soit pas "souillé" par des parvenus qui n'auraient rien à faire là. Notre système scolaire, entre autres, est extrêmement fort pour faire comprendre aux enfants "défavorisés" qu'ils n'ont aucune chance d'aboutir à autre chose qu'un emploi "défavorisé" alors que dans les établissements des beaux quartiers, on prépare au concours de Science Po dès le collège.
De même, la place de la science dans le système de pensée actuelle est plutôt dérangeante quand on y réfléchit bien. Quand quelqu'un veut faire passer une idée, il lui suffit de dire "c'est scientifiquement prouvé", et cet argument d'autorité ne laisse plus de place au doute. Du coup, la science sert de base à toutes les aberrations. Hitler se réclamait de la science. Staline se réclamait de la science. Milton Friedman se réclamait de la science. L'économie se prétend une science. Les sondages d'opinion, qui ne sont que de la publicité masquée, se prétendent scientifiques. Même les études littéraires (historiques, linguistiques...) sont désormais qualifiées de "sciences humaines". L'invasion de la science dans tous les domaines me fait peur...
Le scénario s'amuse à nous présenter l'échec de cette société scientifico-parfaite. Son échec à travers les deux personnages principaux, Vincent et Jerome.
Jerome, c'est la preuve la plus évidente. Il est l'exemple de ces enfants parfaits, né de manipulations génétiques. Résultat : un dépressif, alcoolique et suicidaire. Comment en est-on arrivé là ?
Parce que la société de Gattaca, c'est une société sans enjeu. Les personnes sont prédestinées, par leur naissance, à un poste particulier. Ils ne gagnent rien par leurs mérites, ils ne se battent pas pour obtenir quelque chose. Ils se contentent de naître pour l'avoir (tiens, ça rappellerait pas une certaine critique contre l'aristocratie, ça ?). Le pianiste est un virtuose ? Certes, parce qu'il a six doigts à chaque main.
Vincent, oui, est l'exact opposé. Le duel qui l'oppose à son frère est très significatif de ce que le film veut nous montrer. Entre un homme "in-valid" qui se donne à fond et un homme "valid" qui ne fait rien et se contente de cueillir ce qui est prévu pour lui, le combat est rude.
C'est ici que le film rejoint la "philosophie" habituelle des USA, promoteur de ce "rêve américain" où tout le monde est capable de réussir en s'en donnant les moyens, où ceux qui échouent sont ceux qui baissent les bras et où le déterminisme social n'existerait pas. Beau rêve...
Le film est entièrement plongé dans cette "philosophie". Et c'est là qu'il agace un peu, quand même. S'il n'y a qu'un hypothétique rêve américain pour s'opposer au scientisme triomphant, je comprend que Vincent veuille s'exiler sur une autre planète...
Sinon ?
J'aime bien la mise en scène sobre, qui évite tous les pièges du film de SF habituel. Quasiment aucun trucages, aucun des gros effets que l'on pourrait s'attendre à voir ici. C'est beau, c'est reposant.
L'interprétation est juste excellente. Avec, dans le lot, deux surprises de taille : Ernest Borgnine (qui est modestement un des acteurs de génie du cinéma étatsunien) et Gore Vidal ! Le bonhomme nous avait plutôt habitué à être dans l'écriture, de romans, d'articles de journaux ou de scénarios (Ben Hur, Que le meilleur l'emporte, Soudain l'été dernier). Le voir ici rajoute une valeur importante au film.
Par contre, si la partie politique est intéressante, l'aspect policier est complètement foiré. Incapacité à instaurer un suspense (la pitoyable scène de l'escalier est là pour le prouver), rebondissements cousus de film blanc... Tout tombe à l'eau.
En conclusion, le film est sympathique mais reste bancal. Il se laisse voir, mais avec cet arrière-goût qui nous dit qu'il aurait pu être meilleur. Un insatisfaction derrière les indéniables qualités du film.