Construit sur le même principe que le très bon Bad Boy Bubby et le plus convenu Room, Bienvenue Mister Chance s’attache à un personnage cloitré depuis sa naissance et dont on va suivre la libération : ce regard de l’étranger social sur ce qu’on nomme la normalité va occasionner un travail de critique sociale et satirique déjà éprouvé depuis des temps immémoriaux, des Lettres Persanes à Forrest Gump.
Hal Ashby prend un peu trop son temps pour faire le tour d’une question qu’on avait rapidement comprise, à savoir que le monde est devenu fou, et que la combinaison des politiciens, des médias et de l’abrutissement des électeurs peut élever au rang suprême l’imbécile heureux qui ne comprend rien à leur fonctionnement.
La satire est tout de même assez savoureuse, et permet une trajectoire qui n’épargne presque personne, évoquant pêle-mêle le racisme inhérent à la société américaine, des élites totalement déconnectées de la réalité, et un auditoire général avide de réponses, prêt à la foi la plus aveugle pour pouvoir se sentir rassuré : la manière dont on propose une lecture économique et financière des aphorismes jardiniers de Mr Chance est une réussite assez malicieuse.
Mr Chance, c’est aussi cette béance tout à fait fertile pour un scénario : l’homme venu de nulle part, sans passé, sans histoire, sans culture, et que l’on s’acharne à faire rentrer dans des cases, dévidoir à fantasme qui occasionne de belles séquences sur la rivalité entre CIA et FBI, tous convaincu que son dossier a été occulté par l’autre…
La prestation de Peter Sellers, l’un de ses derniers films qui lui valut l’oscar, est excellente, même si un peu minée par les redondances d’écriture, comme les longues scènes devant la télévision ou en dialogue de sourd avec ses interlocuteurs. Mais cette déconnexion, jusqu’à ce très beau plan final lui conférant l’aura d’un Christ nouveau, est parfaitement en accord avec la démonstration recherchée par Ashby.
Le film a tout de la fable, et ne s’embarrasse par conséquent pas de crédibilité, dérivant jusqu’à la farce franche. Tout le monde semble finalement assez désespéré face au candide : en mal de reconnaissance, en soif de pouvoir, de sexe, voire tout simplement d’innocence, la galerie des personnages se distribue sur une dynamique de plus en plus caricaturale. La démonstration est acerbe, et rejoint un peu le cynisme de Lumet dans Network : on tire sur tout ce qui bouge, avec un certain sens de la provocation, notamment dans cette scène de sexe qui résume parfaitement la situation : Shirley MacLaine atteint l’orgasme qu’elle croit attribuer à Mr Chance, alors qu’elle se contente de se masturber, jolie métaphore de cette société entièrement et aveuglément autocentrée.
(6.5/10)