Prisonnier d'un style qui lui est propre, reconnaissable entre mille, Tim Burton semblait incapable de s'extraire de son univers, donnant éternellement naissance au même film, devenant ainsi ce qu'il déteste le plus, un simple produit à la solde d'Hollywood. Son nouveau projet, Big Eyes, semblait souffler le chaud et le froid, le cinéaste donnant l'impression au premier abord de s'extraire enfin de ses pantoufles confortables, mais aussi de se plier à une commande ne lui ressemblant pas.
Ecrit par les duettistes derrière le sublime Ed Wood, parfait exemple de la puissance qui peut émaner d'un film de Burton quand celui-ci parvient à mêler son univers personnel à celui d'un autre, Big Eyes est, contre toute attente, bien plus ancré dans le monde du papa de Frankenweenie que l'on pourrait le penser. A travers le portrait plus tragique que comique du couple Keane (monsieur s'attribuera sans vergogne la création de madame), le cinéaste illustre à nouveau beaucoup de thèmes qui lui sont chers et qui font partie intégrante de son cinéma.
Des obsessions allant d'une héroïne naïve devant lutter contre un monde cruel et cynique, à une société conformiste et patriarcale, où la femme n'a d'autre choix que de suivre docilement les desiderata de son époux et où l'excentricité n'a sa place que dans un cirque ou pire, dans une galerie d'art. Un microcosme montré d'ailleurs dans toute son hypocrisie et sa récupération commerciale, où le nom apposé a finalement plus d'importance que l'oeuvre en elle-même. Une approche presque méta de la part d'un artiste vampirisé par sa propre création, devenu malgré lui davantage un produit qu'un conteur.
Le film de Tim Burton ressemble d'ailleurs à une sorte de conte moral, lutte acharnée de la création face à l'industrie, opposant la naïveté à la manipulation, à laquelle le cinéaste donne une forme extrêmement sage, trop peut-être, mais parsemée ici et là de quelques trouvailles visuelles loin d'être anodines. Le scénario, quant à lui, peine à surprendre réellement, déroulant une intrigue classique et passant un peu à côté du personnage pourtant fascinant de Walter Keane, croqué sans nuance aucune. Même l'interprétation de Christoph Waltz ne convainc qu'à moitié, le comédien étant totalement éclipsé par sa partenaire Amy Adams, parfaite de bout en bout.
S'il n'est clairement pas le retour espéré de Tim Burton aux affaires, Big Eyes est pourtant bien plus intéressant qu'il n'en a l'air, s'incluant parfaitement dans l'univers du metteur en scène sans donner l'impression de sortir d'une usine préfabriquée. Avec un peu plus d'audace et de folie, davantage de prises de risque, Big Eyes aurait peut-être pu frôler la grâce d'un Ed Wood. En l'état, c'est déjà pas si mal.