Enfin ! Après des années de traversée du désert créatif, Burton semblait revenir à un projet inattendu et prometteur. Non parce que, soyons honnête, « Dark Shadows » était juste une caricature affligeante de son style (je ne parlerais même pas d’ « Alice »… Pour ne pas devenir vulgaire) et même « Frankenweenie », en fin de compte, ne proposait rien de vraiment transcendant, même si sympathique. Mais c’est au moins ce petit soubresaut qui me laissait dire que le réalisateur qui m’avait conquis avec « Edward Aux Mains D’Argent », « Sleepy Hollow », « Big Fish » et « Ed Wood » n’était pas encore tout à fait mort.
« Ed Wood », justement, parlons-en. Un de ses plus magnifiques, touchant et vraiment personnel, qui prouvait encore à l’époque que Depp pouvait être fabuleux avant de Sparrowtiser tous ses rôles. Mais pourtant, bien que reconnu, il reste un de ses plus facilement oublié par ses « fans » (oui, ceux qui partent du principe que « oh, cool, y’a Johnny Depp et Bonham Carter qui jouent des gothiques allumés sur fond de chœurs Elfmaniens, loooool »… Bref). Quand j’apprends que son nouveau projet est à nouveau une biographie/histoire vraie, de nouveau par l’équipe de scénaristes déjà auteurs d’ « Ed Wood », sans Depp et Bonham Carter mais, surtout, pour un sujet vraiment original et intéressant… Ben bien sûr que je fonce.
Au final, force est de reconnaitre que, bien que prometteur et bourré de bonnes intentions, le projet ne tiens pas vraiment ses promesses. J’étais vraiment prêt à parier que l’histoire de ses tableaux (dont l’imagerie évoque énormément son cinéma, forcément), d’un couple d’artistes imposteurs complétement atypique et de cette grande arnaque allait clairement l’inspirer.
Au début du film, on entend déjà les premières notes de la BO (toujours par Elfman, quand même) qui changent complétement du registre habituel des films du duo, tendant ici plus vers du Thomas Newman. Etonnant, donc, mais très loin d’être désagréable. C’est frais et ça nous épargne l’éternel orchestre gothique (sympa mais répétitif, à force). De même, la photographie de Delbonnel change radicalement la donne : soleil californien, nombreuses couleurs chatoyantes… On commence à se dire que dans la forme, Burton change vraiment radicalement et pas forcément en mal. Reste à voir l’histoire, mais pour l’instant je suis plutôt rassuré de voir que Burton ne se complait plus dans son confort visuel de base.
Ça change… Ça change beaucoup… Ça change trop !
En partant vraiment sur l’idée que ce film vient de Burton, la comparaison avec « Ed Wood » devient terrible. Le premier, malgré son statut de biopic, était avant tout un film de Burton, avec une vision, un angle, des personnalités, un choix. Et, surtout, qui montrait un artiste complétement en décalage entre son univers et la réalité, le tout dans une atmosphère prenante. Ici, il s’agit vraiment d’un biopic au sens strict du terme. On déroule l’histoire et ses péripéties, mais sans réelle conviction.
Le seul choix visible pris par Burton et ses scénaristes est celui de montrer Margaret Keane, joué avec sobriété par Amy Adams, comme une artiste au talent subjectif mais à la sincérité confondante. Clairement, elle incarne ici la vision Burtonienne de la créative décalée et incomprise et dont les enjeux de la réalité lui échappent. Sa seule part d’ombre, celle d’être victime « consentante » de son mari, est vite justifiée lourdement par les scénaristes comme étant un « manque de force psychologique de sa part »… Bon soit.
Parlons-en de son mari, le mielleux et grinçant Walter Keane. Si le film prend clairement le parti-pris d’Amy Adams, la montrant sobre, fragile et touchante, on ne peut pas en dire autant de Christoph Waltz. Ah, c’est le pas gentil de l’histoire ? Ah il était réputé manipulateur et charismatique ? Conclusion : Accentuons carrément cet aspect en faisant surjouer Waltz sans nuance (à quelques scènes près qui sauvent les meubles) et en montrant bien à quel point il est hypocrite et sournois. Je ne doute pas que, dans la véritable histoire, Walter Keane n’était pas un saint, mais de là à le montrer comme un dégénéré face à sa pauvre victime de femme… Mouais. Très manichéen, donc. Trop. Si l’on fait exception de certaines scènes, on pourrait presque se sentir dans un Disney. A vrai dire, le film se complait même tellement dans son parti pris envers l’épouse Keane qu’il se contente de montrer ses actions et ses dires sans point de vue et toujours avec bienveillance.
La nana ne retrouve son intégrité artistique qu’en suivant quasi-aveuglément des témoins de Jéhovah et toutes les restrictions que cela implique. Surtout pour sa pauvre fille qui n’a rien demandé. Qui plus est via une résolution qui aurait paru évidente à n’importe quelle personne un tant soit peu logique (si ça s’est vraiment passé comme ça dans la vraie histoire, punaise c’est vraiment poussif…).
Burton livre donc un biopic pas mauvais, mais vraiment très impersonnel. Sans chercher à voir des gothiques déjantés débarqués il faut, comme je l’ai dit avant, se remémorer son « Ed Wood » où une véritable atmosphère et un vrai point de vue était mis en avant. Ici, si l’on excepte certains plans vraiment magnifiques, l’ensemble du film baigne réellement dans un univers toc et faux dans des décors trop visibles en tant que tels. Sans doute un parti pris de réalisation, mais clairement ça ne marche pas.
Voyons le bon côté des choses : Burton a voulu faire quelque chose de différent, et c’est tout à son honneur. Il avait un univers de base qui, à force d’être ressorti à toutes les sauces, finissait par devenir caricatural et indigeste. Changer d’ambiance, c’est bien, mais en gardant sa personnalité, c’est mieux. En espérant que son prochain film confirme cette tentative louable et que… Ah ? Il va réaliser la version live de « Dumbo » ?.... Bon.