Tim Burton signe ici un film ambitieux, qui tranche avec l'univers fantaisiste qu'on lui connaît. Les grands yeux (titre qc) est un film sur l'art, bien sûr, mais surtout sur le féminisme, la répartition des rôles dans le couple et les rapports de domination. Grands sujets s'il en est, que le présent film dessert et ridiculise, malheureusement.


L'histoire vraie de Margaret Ullbrich est un exemple frappant de la domination masculine dans l'Amérique des années 1960. En marriant le charmeur Walter Keane, elle perdra tout à la fois son nom de jeune fille et la paternité (ou maternité) sur ses œuvres. Son mari Walter Keane la convainc en effet de signer ses tableaux avec son nom à lui, car et d'un il est bien meilleur vendeur qu'elle, et de deux les artistes féminines ne sont pas prises au sérieux. La femme à l'intérieur de la maison, l'homme à l'extérieur. Sauf que son Walter Keane va abuser de sa position et, le succès fulgurant aidant, va complètement s'approprier les mérites des œuvres de sa femme. Il va d'ailleurs presque se convaincre lui-même que c'est bien lui le génie, et non sa femme. Margaret, dominée, va dénoncer l'usurpation que bien tard, lors d'un divorce très médiatisé.


Il y avait donc de quoi faire avec cette histoire. La difficulté majeure est bien que Margaret Ullbrich est encore en vie et Burton ne se sentait peut-être pas totalement libre. Quoi qu'il en soit, le portrait qu'il fait de Margaret et de Walter est raté, peu plausible, caricatural. Les clefs des motivations des deux protagonistes ne sont pas données. Amy Adams et Christoph Waltz ont l'air bridé, s'interdisant de développer leur talent respectif. Ils jouent l'un à côté de l'autre, au lieu de jouer l'un avec l'autre. Elle éternelle victime sans relief, lui reproduisant son rôle de cabotin qu'on avait déjà vu dans Carnage, de Polanski. Un film avec une histoire pareille ne peut pas marcher sans prises de risques de la part du réalisateur et des scénaristes. Polanski, justement, est un habitué de ce genre d'intrigue, où la psychologie des personnages doit être fouillée, travaillée, essorée, où un certain parti pris est inévitable. Mais Burton n'est pas Polanski. Burton ne prend pas de risque, pas de parti pris idéologique, frôlant à peine ses personnages. Il n'exploite pas assez les contradictions de Margaret. Son engagement religieux est par exemple à peine mentionné. Il ne fait pas le procès du machisme de la société d'alors, ne faisant qu'à peine dénoncer la folie d'un bonimenteur hors pair. Alors que Burton est généralement doué pour mettre en scène le point de vue des enfants, celui de la fille de Margaret est vite évacué.


Faisant bourde après bourde, Burton fait couler un projet prometteur. Le roi du divertissement fantaisiste ne divertit plus...

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le 22 avr. 2015

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