Big Eyes
6.2
Big Eyes

Film de Tim Burton (2014)

Les yeux sont les fenêtres de l'art

Enfin! Après presque trois ans d’attente Tim Burton revient avec Big eyes, un tournant radical dans son univers qui parle avec une image très lisse d’un célèbre fait divers, d’une trahison et de l’émancipation d’une femme le tout à travers l’art avec un grand A.
Pourquoi changer d’identité cinématographique ? Pourquoi ressortir un des plus grands scandales de l’art datant des années 60 seulement aujourd’hui ? Deux questions que l’on peut facilement se poser après avoir vu ce film. Est-ce seulement pour rendre hommage à l’oeuvre de Margaret Keane ? Rien n’est moins sûr. Tim Burton semble ici échanger avec les spectateurs pour leur livrer une critique de l’art actuel.
En effet, Big eyes est un film tourné de manière universelle. Raconté par un chroniqueur en voix off, le spectateur reçoit le récit comme le scoop du jour qu’il entend à la radio en prenant son petit déjeuner. Cela permet alors de ne pas viser l’histoire sur une certaine catégorie de personnes mais de le rendre accessible à tous. Toujours dans le son, la musique est étrangement digne des petites comédies dont seuls les américains ont le secret et qui font leurs preuves auprès du grand public. Comédies d’ailleurs trop académiques comparées à l’ambiance magique et torturée à laquelle Burton nous avait habituée. On se laisse aussi surprendre par la voix envoutante de Lana Del Rey qui qui installe le spectateurs dans le confort de la connaissance. Mais ce qui frappe encore plus c’est l’esthétique. Une esthétique lisse, propre et douce aux tons pastels rappelant l’univers poétique de Woody Allen mais qui, ajoutée aux traitements du son, se transforme en image plutôt plate où seuls les tableaux de Keane font écho à l’univers expressionniste de Burton. Le film se développe donc sur des codes classiques et commerciaux qui permettent de satisfaire le grand public et de mieux l’approcher. Au même titre que Keane, le réalisateur rend accessible le monde de l’art. Mais cela lui permet alors de mieux le critiquer.
Keane a du mal à imposer les Big eyes, peintures traditionnelles, face à l’art contemporain très minimaliste. D’abord moqué, il prend ensuite sa revanche en installant sa galerie en face du prétentieux marchand d’art qui n’a pas voulu l’exposer. Keane et par la même occasion Burton, lève alors son majeur au diktat des modes responsables du succès ou du non-succès d’une oeuvre d’art. Le snobisme de l’ancienne élite qui avait le monopole de l’art et qui en définissait la mode est aussi mis à rude épreuve avec la présence discrète de certaines personnes pleine de jalousie et d’amertume envers la simplicité et le pathétique des Big eyes. Et la synthèse de tout cela se trouve dans le personnage du critique. Ce vieux monsieur aux traits durs et à l’air pincé qui est tout de suite définit comme méchant. Il n’hésite pas à critiquer les Big eyes et porte la problématique de la légitimité d’une oeuvre. Le succès public suffit-il pour faire d’une création une véritable oeuvre d’art ? Question qui traverse les courants et les générations et qui vient parfaitement se poser sur les productions commerciales de notre époque. Tim Burton semble donc vouloir s’adresser à l’art actuel et en critiquer son fonctionnement. Margaret et Walter représentent deux grands aspects du monde artistique. Margaret utilise l’art par sa forme la plus pure, faire de l’art pour exprimer ses sentiments, faire de l’art pour toucher les autres. Walter quant à lui rêve de l’art sans pouvoir l’atteindre, il a soif d’argent, une soif intarissable qui le pousse à toujours plus de méchanceté et de folie. Il y a donc d’un côté l’art et de l’autre l’industrie artistique, le pur et le corrompu. Opposition qui est très présente aujourd’hui dans le monde du cinéma et particulièrement dans le schéma américain. Et Margaret gagne, et l’art gagne, et Burton lève encore son majeur.
Malheureusement il le fait sans se salir les mains. Son propos reste malgré tout confus car perdu parmi les plusieurs autres thèmes. Il critique l’industrie de l’art mais en épouse les formes, il montre la tristesse et la folie aux travers d’images lisses et il parle de tout sans finalement parler de rien. Sa critique bien qu’importante reste en périphérie d’une intrigue pourtant bien construite. On reste alors assez distant devant ces yeux qui reflètent une âme peut être pas assez profonde.

Rosscan
7
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le 3 déc. 2015

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Rosscan

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