Birdman, ou l'inattendu retour de Keaton

Birdman (ou la surprenante vertu de l'ignorance), le dernier film d'Alejandro González Iñárritu, nous présente un acteur déchu, Riggan Thomson, jadis connu pour avoir incarné Birdman, célèbre super-héros, dans une trilogie éponyme. Égocentrique et en quête de reconnaissance et d'amour, il revient à Broadway dans l'espoir de retrouver sa gloire passée en montant une pièce de théâtre, tout en ayant à gérer ses proches avec qui il entretient des relations mouvementées, notamment avec Sam, sa fille qui sort de désintox' pour qui il n'a jamais été présent, son ex larmoyante qui n'en revient toujours pas d'être à Broadway, sa copine lui annonçant sa grossesse, ou encore le talentueux mais incontrôlable Mike Shiner, acteur venu en remplacement à la suite d'un accident. En plus de tout cela, Riggan se laisse malmener par une virile voix intérieure, celle du super-héros qui fit son succès éphémère. L'homme-oiseau le suit et le rabaisse sans cesse, lui et son projet théâtral. Car à ne pas s'y tromper, le film parle des rapports à la reconnaissance, la gloire de l'acteur, et du besoin d'amour de Riggan, qui confond amour et admiration, comme le lui reproche-t-on dans le film. La couleur est annoncée dès le premier dialogue du film : « Que voulais-tu ? - Me sentir aimé ». Riggan a peur d'être oublié, peur d'être un « bouffon », comme il le dit à sa fille, sûrement la plus lucide du tas, qui, elle, essaye de le faire relativiser quant à l'existence des hommes sur Terre. Même son producteur, Jake, est obligé de lui mentir sur le succès de la pièce afin de le calmer. La pièce qu'il adapte, Parlez-moi d'amour (1981) de Carver, premier a avoir reconnu les talents de Thomson à ses débuts, traite d'une semblable inspiration : « Pourquoi dois-je supplier les gens de m'aimer ? ». Enfin, le générique de fin, sorte de Pierrot le fou inversé, voit ses lettres disparaître petit à petit, jusqu'à ne laisser plus que « Amor » avant de virer complètement au noir. De plus, chose intéressante du film est la mise en abyme de Michael Keaton autour de sa propre carrière : c'est un acteur ayant beaucoup fait parlé de lui à la suite de Beetlejuice, mais surtout en ayant joué le Batman de Tim Burton en 1989 et 1992, bien qu'il refusa de l'interpréter une troisième fois, n'aimant pas la façon dont le film allait être dirigé, tel Riggan qui, après la trilogie de blockbusters, refuse de tourner dans Birdman 4 vingt ans plus tôt, et qui, de fait, s'éloigne des grands studios hollywoodiens.


L'intérêt du film vient aussi du faux plan-séquence qui, grâce à des trucages, se présente visuellement comme un seul plan-séquence aux coutures invisibles durant la quasi totalité du film, à l'exception des plans montés à l'ouverture et après la tentative de suicide de Riggan. Plans paraissant riches en symbolique avec la vision d'une comète, d'une fanfare déjà croisée à Times Square, de mouettes au-dessus de méduses échouées (écho à l'histoire de Shiner voulant en finir), mais surtout d'images de lumières. Ce plan-séquence de deux heures qui suit les personnages, que la caméra attrape au vol, nous plonge dans un parcours labyrinthique au sein du théâtre et à ses alentours, et, plus que pour la simple performance formelle, permet d'avoir l'impression d'assister à une pièce de théâtre, possédant un découpage en actes que l'on peut faire lors des pauses, et des ellipses, nombreuses, sans rupture du procédé ni perte en fluidité. Mieux encore, le procédé permet la tombée des cloisons entre réel-imaginaire ou scène-coulisses. Riggan qui utilise ses pouvoir télékinésiques ou encore qui, plus tard, se met à voler dans les rues après qu'une scène d'action apocalyptique s'y soit déroulée, sont des passages que l'on découvre tout droits sortis de son imagination après son atterrissage devant l'entrée du théâtre, à la suite duquel un chauffeur de taxi lui réclame le paiement de sa course. Ces scènes fantasmées sont entièrement mélangées au réel. La batterie, autre création mentale intégrée au réel, que l'on découvre rapidement être diégétique, donne un rythme sonore au film à défaut de posséder le rythme visuel d'un montage. Celle-ci apparaît lors des moments où Riggan a besoin de se sentir, cœur-vaillant, un héros. De même, mais bien plus visible, lors de la scène d'action où il est capable de contrôler la musique extra-diégétique par des « Musique » et des « Stop ». L'absence de frontières entre réalité et fiction est aussi présente par ce passage de la scène aux coulisses lors des répétitions générales ainsi que par la présence du personnage de Mike Shiner, personnage bouleversant les repères au rapport à la vérité.


En effet, ce personnage fait se poser une question : jusqu'où le réel a-t-il sa place ? Lors de la première répétition générale, celui-ci est au bord de la crise de nerf et tient un discours sur le vrai et le faux après que l'on ait, sur scène, remplacé son alcool par de l'eau. Il se trouve que « Monsieur vérité » fait partout semblant, sauf sur scène, où il est fier d'afficher une véritable érection. Rien n'est un problème sur scène. « La vérité c'est toujours intéressant » dit-il à Sam lorsqu'il joue à Action ou vérité avec elle. Ces conseils doivent parler à Riggan puisque, lors du grand soir, il arrive avec un vrai revolver sur scène, duquel il se tire une vraie balle dans la tête. Ovation générale. « To be or not to be » a-t-on entendu plus tôt. La pièce est alors un succès, et les bonnes critiques pleuvent, même celle de Tabitha Dickinson qui comptait démolir la pièce avant même de l'avoir vue, trop rapide réflexion à la Flaubert sur la critique. Macabre est cette critique qui célèbre Riggan alors qu'il renonce à jouer. Mais ne lui a-t-on pas dit qu'il n'était pas un acteur, mais seulement une célébrité ?


Birdman, c'est aussi de multiples références aux super-héros, tel Spider-man que l'on croise à Times Square, accompagné d'un Transformer et d'Iron Man, dont on évoque aussi l'interprète, Robert Downey Jr, entre autres grands noms, alors qu'il est urgent de remplacer un comédien. Mais tous préparent leur prochain film de super-héros. Cette référence est aussi faites dans le casting : outre Keaton sur lequel nous ne reviendrons pas, Edward Norton a été Hulk, bien qu'il vaille mieux ne pas s'en souvenir, et Emma Stone fut Gwen Stacy dans The Amazing Spider-Man. Enfin, certains verront probablement un masque de super, voire un bec, dans le bandage que Riggan porte après s'être pris la balle dans le nez. Mais par ces références, Birdman ne nous livre-t-il pas une réflexion intelligente sur toute forme de célébrité ? Que ce soit celle qui découle d'un ancien Star-système reposant sur la célébrité plutôt que le talent, ou celle, fulgurante, qui s'obtient en quelques minutes sur Internet en se retrouvant sur Times Square en caleçon à la suite d'une maladresse, toutes sont discréditées. « Ce que les gens veulent, c'est un bon vieux nanar' apocalyptique » nous dit Birdman. Et ainsi, le monde est beau, les oiseaux chantent, et « des millions de mouches bouffent de la merde chaque jour ».

Jah_skun
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le 15 oct. 2016

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