Un super-héros peut parfois en cacher un autre. Alors qu’il incarnait en 1989 le Batman de Tim Burton, Michael Keaton endosse aujourd’hui le costume mal taillé de Riggan Thomson/Birdman, un comédien vieillissant évoluant dans l’ombre de ses succès passés, en proie à des troubles identitaires s’objectivant par une dualité névrotique et des divagations hallucinées. Après quatre années d’absence remarquée, Alejandro González Iñárritu retrouve les écrans dans un exercice de style sémillant, reluquant du coin de l’œil La Corde d’Alfred Hitchcock. Criblé de références culturelles, son dernier essai en date déconstruit les bastions de la créativité dans un illusoire plan-séquence unique, caractérisé par une synchronisation parfaite et des numéros d’acteurs passablement enfiévrés. À l’instar d’un Alfonso Cuarón, Iñárritu épate par son savoir-faire, promenant sa caméra dans les coulisses d’un théâtre avec une virtuosité confondante.
Mais Birdman ne saurait se réduire à quelques traits formels ; s’en dégage une réflexion sur l’accomplissement personnel striée de mécompte, tenant toute entière dans un milieu geignard où les crises d’égo et les outrances champignonnent piteusement. Pendant que Riggan Thomson joue son va-tout à l’occasion d’une représentation, Mike Shiner (Edward Norton), acteur aussi talentueux qu’incontrôlable, cherche à surmonter ses troubles de l’érection sur scène, devant des centaines de paires d’yeux complaisantes. Tireur embusqué, Iñárritu décoche des flèches empoisonnées à l’industrie du spectacle, microcosme malade où l’on confond volontiers « l’amour et l’admiration », où règne une inanité vaniteuse n’appelant qu’une sorte de gausserie. Par ricochet, le réalisateur mexicain égratigne les médias, les critiques, le public et même les réseaux sociaux, sabordant le navire hollywoodien dans toute sa plénitude. Un regard grinçant, teinté d’ironie, jamais novateur, mais toutefois singularisé par des dialogues velus et une impression d’urgence due aux mécanismes de mise en scène.
Par sa galerie de personnages foisonnante, par les prestations outrées d’Emma Stone, Zach Galifianakis ou Naomi Watts, Birdman s’abandonne à une forme de surenchère déjà aperçue dans le Maps to the Stars de David Cronenberg. Une violence sourde dans un cadre ouaté. Un ruban d’images fanées, garnies de désillusion et de malaise. Tirée d’une nouvelle de Raymond Carver, l’œuvre d’Iñárritu désacralise le (super-)héros hollywoodien, se fend d’ellipses amères, et renvoie le misérable Riggan Thomson à ses errements, par le biais de sa propre fille, jeune toxicomane paumée à l’horizon bouché. Acerbe et enlevée, l’entreprise a néanmoins ses limites : au voisinage immédiat de la prouesse technique se nichent des moments de flottement, des partis pris fantasmagoriques discutables, quelques chapelets de fariboles. Le revers de la médaille.