Même si la course aux Oscars est pipée chaque année par le lobbying des studios, il y a quelque chose d'encourageant à l'idée qu'un film aussi audacieux et complexe que Birdman ait pu se frayer un chemin jusqu'à la grande scène du Dolby Theatre pour rafler quelques statuettes. Car le cinquième bébé d'Iñarritu fuit à tous points de vue le clacissisme et n'a rien d'une oeuvre facile à appréhender.
Le Mexicain a eu les couilles de s'investir dans ce qui constitue un défi à la fois technique et narratif, sans aucune assurance que ses expérimentations fonctionneraient. La structure en plan-séquence(s) de Birdman n'a pourtant rien du caprice ou de la faute d'orgueil, ce serait mal connaître le réalisateur. La démarche artistique d'Iñarritu est parfaitement réfléchie (bien que ça ne l'ait sans doute pas empêché de flipper sa race sur le tournage). Et elle confère une atmosphère unique à Birdman, lui donnant des allures permanentes de mauvais rêve, grâce aux touches surréalistes comme les extraordinaires solos de batterie d'Antonio Sanchez qui s'accordent au rythme des tempes de Keaton, ou ces brillantes ellipses temporelles. Ces instants de grâce nous propulsent on ne peut mieux dans l'esprit torturé de Riggan comme dans une essoreuse. Mais comme tous les hommes de défi, Iñarritu doit aussi se confronter à l'échec, notamment lorsque le film s'autorise quelques digressions sur les personnages secondaires, moments durant lesquels l'intensité se fait moins forte, et l'absence de coupes forcément plus anecdotique. Cela dit, les choix d'Iñarritu se montrent globalement très pertinents.
Y compris dans la richesse des thèmes abordés. Par l'entremise de l'acteur, le métier par excellence qui met l'ego à rude épreuve, le réalisateur explore les doutes intérieurs qui nous tiraillent, cette bataille constante entre amour-propre et haine de soi, mais aussi la question de la réussite, de la célébrité, et des valeurs illusoires sur lesquelles s'est bâtie la société occidentale depuis le XXème siècle. En bref, comment survivre à soi-même dans un monde individualiste où le superficiel et les apparences sont rois.
Inutile de préciser que les acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes, car c'est une constante chez Iñarritu. Quand on voit les conditions de tournage drastiques imposées par les plans-séquences, on ne peut que leur tirer notre chapeau, ainsi qu'à toute l'équipe technique, car il fallait énormément de talent à tous les niveaux pour mener à bout un projet aussi risqué sans se planter.