Son assomption cachait des ailes
Fin de séance, le générique défile à peine, les petites lumières tamisées se rallument doucement. À ce moment on croise généralement dans la salle 3 types de spectateurs qui ont apprécié le film:
Le premier a l’œil qui brille , le regard qui pétille et ce petit rictus de satisfaction qu'il s'empresse de partager avec ses amis s'il est accompagné. Il est conquis, sa note sera certainement cachetée d'un coup de cœur!
Le second lui est très dur à observer, son portable en main, son manteau sur les épaules, il passe la porte de sortie dès la deuxième note du générique. Là, maintenant, l'unique objet de ses pensées, c'est "Mcdo ou Kebab"? "Qu'est ce que j'ai pensé du film? Ouais ça va, il était OK..."
Cette fois j'étais le troisième, celui qui se lève péniblement de son fauteuil en grommelant, le visage hagard. "Déçu? Oui.. Un mauvais film? Certainement pas.." C'est ce même sentiment que tu as quand un vendeur avec qui tu viens de négocier un prix repart avec le sourire. Content de l'achat mais l'impression lancinante de t'être fait enflé quelque part...
Riggan donne des ailes
Ce film c'est avant tout une performance d'acteurs époustouflante. Michael Keaton est possédé par son rôle, ou plutôt ses rôles. À`travers ce long plan séquence qui doit venir mettre en abîme les carrières de Keaton par Riggan, écrasé par l'ombre de Birdman, ou Batman, je sais plus..Il sublime ce costume d'acteur égaré, en quête de sa propre reconnaissance et de celle de son public. Si Norton excelle comme attendu dans son rôle de lunatique égocentrique, Galifianakis, Stone et Watts livrent une performance très propre. Mais Michael est tellement au dessus, Michael se moque de tes quatre acteurs, il rit du haut de sa montagne.
Un dernier plan, un sourire, une ultime pirouette narrative.
Passé ce jeu des comédiens qui n'a pas usurpé tous les superlatifs taillés par les critiques, le développement de l'histoire marche un peu trop droit. Grandement interprétée par des personnalités si versatiles et explosives, elle aurait mérité un traitement avec plus de folie, et sans parfois tomber dans l'absurde. Comme pour échapper à la lourde responsabilité qu'aurait porté des choix plus sérieux, certaines scènes prennent un virage poétique, finalement bien trop facile et arrangeant. Alejandro Gonzalez Innaritu laisse ainsi à une ou deux reprises l'impression d'articuler une histoire pourtant parfaitement construite avec du vent et une baguette magique.
"People love blood, love action, not this talking, depressive, philosophical bullshit"
La bande annonce est particulièrement traître, faisant miroiter un rythme avec lequel on joue à cache-cache pendant tout le film. Alejandro Gonzalez Innaritu (c'est la dernière fois que je le cite, il avait qu'à s'appeler Pedro Sanchez..) ne cesse de jouer avec des mises en abîme, des personnages face aux acteurs, de la pièce face à son film...etc. Et cela tourne parfois à l'excès, à vouloir tout enterrer dans une pseudo-profondeur scénaristique, une bonne partie de la consistance de l'oeuvre s'efface sous ces tours de passe-passe. L'intention est néanmoins ambitieuse, soigneusement travaillée, et à le mérite de jongler entre différents cadres d'expression.
Birdman c'est donc l'histoire de Bruce Wayne qui laisse masque et cape au placard pour désespérément tenter de séduire un public qui n'avait d'yeux que pour son costume. Un Bruce vieux, dépassé et pathétique face à l’ascension de Tony Stark et autres super-héros en vogue. A ceci-près que Bruce s'appelle Thomson, qu'on ne sait plus vraiment si Thomson ne s'appelle pas en fait Michael et même s'il a déjà volé un jour...