Birdman : La Vérité si je mens 4

Que cherche Inarritu ? En apparence, la vérité.

Dans ses trois premiers films, il épatait la galerie en renversant les perspectives. Le public et la critique se tenaient alors par la main : "puissant, vertigineux, total..." Affaires de destins croisés, comme on dit, "Amours chiennes" (tiens, tu savais qu'amour devenait féminin au pluriel ?), "21 grammes" et "Babel" laissaient accroire au spectateur vaniteux qu'il était intelligent puisqu'il arrivait en une heure et demie à finir un puzzle.

Mais les puzzles chez Inarritu (à moins qu'il ne faille accuser Arriaga, co-scénariste) fait en général trois ou quatre pièces. Et l'impression qu'ont pu avoir certains de saisir du monde la complexité, l'envers, voire la totalité (les fous...) auront oublié trop vite que l'art cinématographique est monoculaire (fût-il en 3D), comme l’œil humain (quiconque voit avec deux yeux s'en rend compte s'il ne boit) et qu'Inarritu n'est qu'un frimeur.

Ici, le cinéaste virtuose poursuit sa quête et décide d'enfermer son spectateur dans un théâtre de Broadway (l'équivalent des Grands Boulevards, lignes 8 et 9, c'est-à-dire l'endroit où le théâtre se fait) pour voir un peu ce qu'est la vérité d'un acteur et donc de la vie, n'ayons peur de rien. Soit Riggan (Michael Keaton), jadis trois fois incarnation de Birdman, héros ailé, et rôle qui lui valut une gloire éphémère mais dont il ne revint jamais tout-à-fait. Une petite voix (celle de Batman, en gros, puisqu'on n'a pas oublié que Keaton a été Batman) lui susurre, lorsqu'il est seul, qu'il a oublié ce qu'être acteur était. Soit Riggan, donc, qui vit dans le faux depuis qu'il a refusé "Birdman 4". Cette fois l'acteur se pique de dramaturgie, adapte Carver, met en scène et joue. C'est le moment où Riggan croit prendre en main, puisqu'il est son metteur en scène, sa vie d'acteur.

Il y a un moment où je m'endors, mais pour le reste, on voit Edward Norton jouant à action ou vérité avec Emma Stone et tous ces acteurs jouant des acteurs qui se donnent des leçons sur ce qu'est le théâââtre (cette manie de répéter "That's Theater" à tout bout de champ), quand on y est, dans la vérité du théâtre (ou l'inverse), et quand on y est pas. Par exemple : c'est comment déontologiquement d'avoir une érection sur le plateau lorsque l'on joue une scène d'amour avec celle qui partage sa vie ? Est-ce qu'on se rapproche de la vérité quand, ex-star, on se retrouve en slip dans la rue populeuse ? Est-ce que c'est vrai qu'Edward Norton s'est foutu à poil sur le tournage et est-ce qu'Emma Stone a vu sa quéquette ?

Le gage de toute cette vérité est le plan-séquence, manière la plus directe pour un réalisateur de dire "je le jure". Et "Birdman" se présente comme un plan-séquence unique, exception faite de quatre plans qui ouvrent et ferment le film en écho et d'un générique façon "Pierrot le fou", rien que ça. Mieux encore, le film est saturé de miroirs, points aveugles du cinématographe, précipices où l'illusion risque à tout moment de basculer, multipliant ces poncifs que sont les "scènes de miroir" où le personnage se retrouve enfin face à lui-même. Or la caméra, ici, a le culot de passer et repasser face à ces miroirs et y a-t-il un miroir face au miroir, ne cherchez pas, vous ne trouverez pas l'ombre d'un opérateur, pas le poil d'une bonnette.

Inarritu donc, qui ne cesse de nous assurer de la totale transparence de sa mise en scène - condition sine qua non pour atteindre à la vérité érigée comme programme - nous enfume. Le reflet du sexe d'Edward Norton ne parviendra jamais au capteur de la caméra en raison de l'interposition d'un rideau, et ces plans-séquences augmentés de miroirs multiples sont aussi authentiques que les lèvres d'Emmanuelle Béart.

A la fin, le cinéaste célèbre la vérité de l'illusion à l'occasion de deux envols successifs du Birdman, l'un rêvé, l'autre on ne sait plus bien. Et la tyranique critique du New-York Times vantera la pièce pour ce qu'elle ouvre une ère de l'histoire du théâtre, celle de l'hyper-réalisme (Riggan vient de se loger une vraie balle dans la gueule à la fin de la représentation). "Birdman" en érigeant l'équivalent du Théâtre de Trévise en lieu de la vérité et une poignée d'acteurs cabotins en exemples de ce qu'Hollywood fait de mieux fait autant de bien au cinéma qu'au théâtre.
Omallet
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le 26 févr. 2015

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