Birdman ou le virtuose hallucinogène

Les avis sont divergents et parfois frôlent les extrêmes. Irritant ou épatant, Inarritu ne peut donc laisser indifférent. Et c'est ainsi qu'il vole haut, et perd parfois le contrôle, en évitant toujours la chute libre.

Riggan Thomson entend la voix du personnage qui l'a élevé au rang de superstar, un homme oiseau tout droit sorti d'une super production. Il met en scène à présent, la cinquantaine passé, une pièce de théâtre sur broadway qui pourrait relancer sa carrière. Sauf que l'homme supporte sur sa conscience le poids des regrets et que le monde dans lequel il est plongé, le nôtre ni plus ni moins, est peuplé de bruit, de fortes personnalités et de regards qui ne cessent de le juger. La contrainte est de ne pouvoir se balader en slip dans les rues de One Times Square incognito. Scène sublime qui dénonçant la virtualité des nouvelles technologies portatives dépeint avec éloquence le voyeurisme égocentrique absurde qui ne cesse de faire plus de ravage (selfies, vidéos youtube et autres m'as-tu-vu dégénérés) sur notre monde moderne. Quel place au privé alors que les paparazzi se bousculent et se marchent dessus pour la moindre « info » chopée au vol qui sera sans aucun doute retouché, retapé ou déformé. La scène des journalistes corrobore cette réalité avec humour. Mais ce ne sont pas les seules satires. C'est de la scène et du cinéma dont se moque Inarritu avec la plus grande des maîtrises. Exceptées quelques transitions visibles par des effets de zoom ou déformation liée à la perte de qualité numérique ainsi qu'une post-production numérique que l'on attendait parfaite mais dont les défauts de le lissage et d'uniformisation de lumières sont évidentes. Bref ce n'est qu'un détail. Quoique lorsque l'on nous présente une maîtrise photographique, tant sur le plan des mouvements, des cadres que des raccords, il est normal que l'on soit moins tolérant. La scène sur les toits sont à cet égard, flottants et guère nets. Ne chipotons pas sur des grains de poussières. Ce qui importe avant tout, ce sont les acteurs, la réalisation et surtout la photographie. Le nom d'Emmanuel Lubezki ne devrait pas vous être inconnu. Il est à l'origine des images de Gravity. Et son usage du stead ne peut que faire des envieux. Irréprochable. Au niveau des yeux, nous traversons le Saint-James Theater de Broadway des coulisses à la scène en passant par la rue ou les fenêtres. Sensation de voler qui se répercute à la sortie de la salle ou le moindre contact avec les passants est perçu comme une fuite cinématographique. Comme dirait mon père, « pourquoi s'attarder sur les points positifs tant ils semblent évidents ? » Concentrons-nous sur "pourquoi le vol ne peut que s'accompagner d'une chute, guère douloureuse ?"

Le message méta-existentiel et la mise en abyme shakespearienne « The World is a Stage » ne peuvent que sauter aux yeux, si ce n'est au cou. A coup de références, de noms cités. Le tout, rythmés par de la batterie incessante, jouée par un jazzman afro-américain ignoré (si ce n'est du cadre) qui se matérialise tel une représentation mentale. C'est d'ailleurs ce que Riggan craint, de se laisser envahir par cette folie qui lui donne le pouvoir de télékinésie. Ou parce qu'il est toujours resté ce super héros d'antan. Détail scénaristique qui apparaît comme un poil pubien dans un met digne des plus grandes tablées. A trop vouloir faire méta, Inarritu perd son spectatorat. Comète signe de fin du monde, plan de calamar échoué ou rupture du « plan séquence » par des inserts gratuits dans lesquels spiderman danse avec la fanfare sur scène. Baiser lesbien inexpliqué. WTF ?! Un montage qui s’essouffle ou une fausse note dans l'orchestre savamment conduit ? Heureusement que l'humour est présent et que l'autodérision permet l'appréciation. Michael Keaton, figure de de Beetle Juice et Batman dans les années 80/90 revient en tête d'affiche. Edward Norton a le physique (et la notoriété) de l'acteur talentueux made in broadway qui sauve la pièce. Naomi Watts en blonde hitchcockienne torturée. La plus étonnante surprise provient d'Emma Stones en ado qui vient de se remettre de désintox. Bluffante de vérité ! La frontière entre réalité et fiction/virtualité est poreuse et traversée par les ambitions démesurées liées à la profession du spectacle. L'Actor Studio est moqué. L'industrie est la cible, figures de super héros, dc marvelo-comic répétés jusqu'à plus soif, effets spéciaux dupliqués et acteurs dont la tête ne passe plus aucune porte. Le théâtre est le contexte des revendications. La famille également, les relations, la drogue, nos existences... Tout se consomme. La surprenante vertu de l'ignorance s’appose aux premiers spectateurs levés avant que le générique défilant ne commence, qui ne comprendront pas qu'ils ont assisté à un film dans un film qui les critiquent, tout comme il se critique soi-même. La vertu de l'ignorance correspond aussi aux « bienfaits » de ne jamais connaître ses maux, ses penchants et ses aversions, ses ambitions néfastes, ses reproches étouffants. Heureux qui comme Ulysse / Quand on aspire à un destin / Honni par l'ordre des gens bien / Qu'elle est dure la liberté /La liberté. 
Léon_Leblon
8
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le 6 mars 2015

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Léon Leblon

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