Amours Chiennes, Babel et 21 Grammes ont imposé Alejandro Gonzales Inarritu comme un des meilleurs cinéastes dramatiques en activité.
Biutiful, son nouvel essai, marque une rupture avec le reste de sa filmographie et cela pour deux raisons : d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un film choral, le cinéaste concentrant son histoire sur un seul personnage dans un seul lieu. Ensuite parce que le scénario n'est pas signé par le génial Guillermo Arriaga, collaborateur de longue date d'Innatitu.
Ces changements notables dénotaient une réelle prise de risques et pouvaient laisser craindre une baisse qualitative... il n'en est rien !
Le caractère simple au demeurant de l'histoire et l'absence de points de vue multiples ne changent rien à la profession de foi de l'auteur : Innaritu reste un cinéaste fasciné par l'être humain et les histoires tragiques soulevant des questions universelles. A ce titre, on retrouve des éléments et des enjeux propres au cinéaste comme le fait d'ancrer son récit dans un contexte international et multilingue.
Ainsi, la ville de Barcelone est montrée de manière totalement inédite et on est bien loin de la vision carte postale de Woody Allen. Innaritu filme le Barcelone des immigrés clandestins (Chinois et Sénégalais) et des marginaux : une vision réaliste qui élude volontairement toute la beauté de la cité. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la mer n'est jamais montrée dans le film sauf au détour d'un unique plan morbide qui vient égratigner le mythe.
Le tableau sans concession de cette réalité sociale confère au métrage une atmosphère pesante et parfois glauque parfaitement retranscrite par un travail remarquable sur la photo et la lumière. De plus, le récit est transcendé par une forme de fantastique troublante sans être trop démonstrative et qui vient illustrer les tourments du personnage. En outre, le film entretien le mystère autour de la capacité de son héros à communiquer avec les morts ce qui occasionne quelques passages tantôt inquiétants, tantôt magnifiques (la fin).
Malgré cette ambiance assez « dark », on aurait tort de qualifier Biutiful de film déprimant ou lacrymal car la tristesse du décor contraste avec la beauté des personnages et de leurs sentiments.
En effet, Biutiful tire sa force de protagonistes superbement écris avec évidemment en tête, celui interprété par un Javier Bardem prodigieux : l'acteur Espagnol est tellement habité par son personnage qu'il est totalement impossible d'imaginer un autre que lui dans le rôle. Le personnage d'Uxbal est révélateur de la profondeur d'un récit qui refuse le manichéisme facile : un homme plein de faiblesses, condamné par la maladie mais animé par un grand amour pour son prochain et particulièrement pour ses deux enfants. A ce titre, Bardem incarne tout simplement la plus belle figure paternelle que j'ai jamais vu au cinéma et les scènes qu'il partage avec les mômes sont de loin les plus émouvantes du métrage (les larmes ne sont pas loin...) sans pour autant verser dans le pathos.
Les autres protagonistes de cette histoire ont eux aussi bénéficié d'un grand soin et sont loin d'être de simples caricatures (à l'exception du frère), surtout les clandestins, rarement aussi bien évoqués par le 7ème art.
Au final, Biutiful est une réussite totale et on ne déplorera que quelques longueurs (les Innaritu sont longs mais ici, le résultat aurait été le même avec 20 min de moins). Le cinéaste mexicain signe un film d'une puissance émotionnelle rare porté par un interprète phénoménal et qui montre que la beauté (celle des sentiments, celle des personnes) du titre existe aussi dans un contexte de grande misère. Le film peut également être vu comme une réflexion universelle sur le courage, sur l'amour et sur la compassion.
Pour l'instant Innaritu réalise un sans faute... A voir absolument !
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