Scream n’était pas le premier à proposer l’idée d’un tueur passant ses appels de l’intérieur, loin s’en faut. Black Christmas pourrait même s’attribuer la paternité du slasher en précédant de quatre ans l’œuvre matricielle de John Carpenter. Le mythique Halloween popularisera le genre dans les années 80 en mettant en scène des groupes d’adolescents massacrés par un tueur le plus souvent masqué. Ce déferlement de violence graphique faisant la part belle aux mises à morts originales, s’associe couramment à une vengeance (Vendredi 13) et vise à corriger les mauvais comportements (sexe, drogue, alcool). Le genre s’est donc vu flanqué d’une réputation misogyne en réponse à la libération des mœurs dans nos sociétés, puisque seule l’héroïne, souvent vierge qui plus est, finissait par survivre.
À cela s’ajoute le choix de l’arme blanche (couteau, machette, perceuse, tronçonneuse, à chacun son outil de prédilection) ,qui est au slasher ce que le colt est au western. Un symbole phallique de toute puissance permettant d’atteindre une forme de jouissance en délivrant la mort après pénétration. Le père fouettard aurait donc le rôle du régulateur avec cette jeunesse dévoyée, garant de l’ordre moral d’une arrière garde réactionnaire. Pourtant Black Christmas utilise ce propos à des fins plus progressistes, en dressant le portrait d’une galerie de femmes indépendantes ou bien en voie d’émancipation. La première victime a d’ailleurs tout de la jeune vierge effarouchée, candide, naïve et innocente. Ces tueries ne seraient donc pas motivées par une mentalité puritaine mais bien la traduction de pulsions enfouies et de frustration sexuelles refoulées. Très en avance sur son temps, Bob Clark transgressait déjà les règles qui allaient populariser le genre.
Réunies pour passer les fêtes de fin d’année au sein de leur campus, Jessica, Barbie, Phyllis et Clare sont quotidiennement la cible d’appels téléphoniques obscènes. La ménagerie a beau s’en amuser, lorsque Clare disparaît dans des circonstances douteuses, l’affaire devient très vite prise au sérieuse par son père. Ce dernier ne va pas hésiter à fourrer son nez dans les affaires de la sororité, que l’on peut qualifier de joyeux bordel à queues, surtout au vu du laisser-aller des encadrantes.
La matrone des lieux planque ses bouteilles de gnôle aux quatre coins de la résidence, d’ailleurs très mal entretenue. Barbie est une dévergondée visiblement en manque de fellation au point de jouer les allumeuses avec le secrétaire débile du commissariat. N’ayant aucune piste ni même de suspect à interroger, la police décide d’organiser une battue dans les bois. À défaut de retrouver l’étudiante, les recherches aboutissent au corps d’une autre adolescente également portée disparue. Suite à cette macabre découverte, l’enquêteur décide de mettre la maison sur écoute téléphonique. Mais ils vont rapidement déchanter lorsqu’ils réaliseront que les appels sont en réalité passés de l’intérieur. Jessica se retrouve désormais seule à devoir lutter contre ce dangereux fou allié. Mais que fait la police ?
Contrairement à Halloween qui disposait de l’aura maléfique de Myers pour susciter la peur, Black Christmas ne dispose pas d’un antagoniste au look iconique. Au contraire, puisque le malfaiteur restera invisible tout du long et seuls les appels téléphoniques deviendront le leitmotiv récurrent du récit. C’est aussi en cela que le film se rapproche autant d’un Giallo que d’un Whodunit, puisque le spectateur ne pourra que soupçonner son identité avec le peu d’éléments et de personnages masculins dont le film dispose (à supposer qu’il s’agisse réellement d’un homme). Néanmoins, Bob Clark reste très attaché à la comédie. La suite de sa carrière l’atteste (Porky’s, Karaté Dog, P’tits génies, A Christmas Story). En inscrivant cette affaire de féminicide dans le contexte désenchanté de Noël, cela lui permet d’orchestrer un contraste saisissant entre l’innocence de ces festivités et la perversité de ces meurtres auxquelles seront confrontés ces adolescentes en passe de devenir des femmes.
Le cinéaste en profite également pour tourner les forces de police en dérision et laisse une place prépondérante à la caractérisation de ses protagonistes féminines, afin de dresser une véritable étude des mœurs de l’époque. L’une des pensionnaires est par exemple tiraillée entre la volonté de vouloir mener une carrière professionnelle et celle de fonder une famille, en raison d’un petit copain trop insistant se positionnant contre l’avortement. Cependant, les encadrantes ne sont pas toujours présentées sous leur meilleur jour. Dans leurs vices et libido, ces dernières oublient d’assumer leur rôle de gardienne du temple et ne prendront même pas la peine de fouiller tous les recoins de la maison. La fin laisse d’ailleurs à supposer que le mystérieux tueur n’est peut-être pas forcément celui que l’on croyait, attendant de nouveau son heure dans son sinistre grenier, d’où émaneront bientôt les relents du corps putréfié d’une étudiante à la fenêtre, l’expression à jamais figée sous son cellophane. L’odeur devrait se faire plus forte d’ici l’été. Si seulement les femmes savaient un peu ranger leur bordel.
En cette période de festivités où il convient de se réunir en famille, d'ouvrir les cadeaux et de déguster une bonne pintade fourrée. L’Écran Barge vous propose de déterrer la hache de guerre en pervertissant l'esprit de Noël. Cette sélection de films saisonniers accompagnés de critiques virulentes et acerbes est donc réservés aux viandards, aux bisseux, aux tueurs de masses, aux durs à cuirs, aux frustrés et à tous ceux qui ne croient plus aux bons sentiments et à la paix dans le monde depuis bien trop longtemps.