Il était une fois en Chine!
Il est intéressant de noter que le nouveau cinéma chinois se voit souvent récompensé dans les plus grands festivals internationaux alors que celui-ci est de plus en plus contestataire contre le gouvernement en place.A mesure qu'il entre dans une économie ultra-libérale pour prendre sa place dans le concert des Nations du monde,il voit son mode de vie s'occidentaliser au fil du temps.Et c'est paradoxalement cette ouverture extérieure vilipendée par cette nouvelle vague qui lui permet d’être reconnue aux yeux du monde.Comme une sorte de condescendance de notre part,une compensation pour n'avoir ou faire semblant de n'avoir rien su et vu de la répression sanguinaire ayant précipité les événements de Tiennenmen en 89.Cette repentance hypocrite est d'autant plus amusante que ces velléités cinématographiques ne datent pas d'hier,comme le prouvent certains réalisateurs d'une époque révolue.Zhang Yimou et Chan Kaige ont connus les honneurs de Berlin et de Cannes("Epouses et Concubines","Ju Dou","Le Sorgho Rouge"). Mais leurs films tenaient plus de la révolte esthétique et soyeuse que de la violence choc et frontale de leurs successeurs.
Dans la lignée de ces nouveaux chefs de file révolutionnaires à la popularité de plus en plus établie,nous arrive ce que l'on pourrait considérer comme une suite officieuse d'une trilogie sur la déliquescence morale et sociétale initiée par Zhia Zang Ke avec "A Touch Of Sin"(meilleur scénario à Cannes l'an dernier).Ce "Black Coal posséde tous les ingrédients de son prestigieux prédécesseur car son approche du délabrement institutionnel du pays est tout aussi cinglante.Si le premier cité aborde le sujet par un naturalisme plus démonstratif,se servant des multiples décors de cette Chine rurale et urbaine comme éléments métaphoriques et poussant la violence à un paroxysme rarement atteint,son compatriote se concentre plus sur le passé trouble d'une idéologie tortionnaire aux conséquences aujourd'hui dévastatrices.Non que la violence y soit moins présente,mais celle-ci est beaucoup plus sèche et moins complaisante.Ce n'est plus une apologie de la vengeance mais plus un constat terrible d'une incompréhension d'un peuple à la dérive.Son originalité tient aussi du fait que sous ses airs de pur polar s'accaparant tous les codes du genre avec talent se cache en réalité un regard ironique et onirique plus inhabituels pour un film de cet acabit.
Le réalisateur,sans se départir de sa verve intransigeante,n'oublie pas de se moquer ouvertement d'un appareil D’État pour le moins défaillant.Ces enquêteurs incapables de demeller les les fils d'une sordide affaire en viennent à espérer que cet ancien flic déchu devenu un agent de surveillance de mines alcoolique résolve cette épineuse investigation par la seule force de son intuition.Est ce à dire que le besoin de renouvellement de toute doctrine politique ne peut se faire sans une nécessaire remise en cause d'un passé pas si lointain?L'avenir ne peut se construire sans une réévaluation inévitable et une idéologie modernisée.D’où ce permanent va et vient entre l'avant et le présent distillé tout du long,car l'enjeu majeur se situe ici.L'espace spatio temporel devient le moteur principal d'une intrigue tendue qui nous pousse à être attentif au moindre détail,au risque de nous perdre dans les méandres d'un scénario tortueux.C'est sa principale limite.Le principe reste ingénieux et nous captive longtemps mais finit par nous agacer à force de roublardise.
Il reste que le message social est assez savamment délivré et que la mise en scène glaciale mais énergique,tout en plans fixes étirés et cadrages méticuleux est suffisamment élégante pour maintenir notre attention soutenue.On y sent en effet la volonté manifeste du cinéaste de réhabiliter les classes sociales désemparées dans le champ d'action et d'en faire les gardiens du temple d'une civilisation en grande souffrance mais toujours vaillante et combative.En témoigne ces héros de peu prêts à se sacrifier pour rétablir la vérité et l'empathie touchante qu'à la directeur d'acteurs pour ces femmes,pures objets de fantasmes masculins,dignes en toutes circonstances et déterminées à guider la juridiction sur le chemin de la réconciliation.La fin surprenante laisse un gout d'inachevé que seuls les plus perspicaces d'entre nous auront pleinement saisis(étant entendu que je n'en fait pas parti).
Ma mansuétude pour L'Asie en général et pour la patrie de Mao en particulier revalorisent légèrement la note finale donnée,qui devrait plus se situer entre 6 et 7 pour les arguments exposés plus hauts.Les comédiens y ont une part assez active car de leurs performances découlent un charme vénéneux qui séduit facilement le spectateur énamouré que je suis.La force brut mêlée de fragilité du baroudeur esquisse l'ambivalence des hommes confrontés à l'émergence d'une féminité gracile autant que manipulatrice de ces chinoises grandement malmenées par la politique de l'enfant unique pendant des siècles.Les chutes répétées de ce nouvel inspecteur La Bavure lors des séquences de patinage signifient la perte de repères d'une masculinité disgracieuse mais déterminé à se relever coute que coute.La mystérieuse veuve défaite est plus sournoise qu'elle n'en à l'air et son charme n'en est que plus sulfureux,tant il est vrai aussi que son imperméabilité peut laisser de marbre.Il fallait des acteurs à la hauteur pour tenir la finesse de jeux jusqu'au bout et nous ne sommes pas déçus de leurs intensités.