Je n'aime pas la danse classique, c'est un fait. Ces grandes perches en tutus de plumes qui marchent sur la pointe des pieds comme de grands échassiers ridicules m'ont toujours laissé circonspect. Et je suis très peu sensible à la danse moderne, également. Bref, tout ce qui touche au corps sautillant dans l'espace me laisse au mieux poliment froid, au pire franchement hilare.
Ainsi, quelle ne fut pas ma surprise de trouver d'un magnifique admirable la scène d'ouverture de ce film, dont pourtant j'avais une opinion déjà conçue (et très mauvaise) ? "Voilà", me dis-je, "une très bonne utilisation des procédés cinématographiques pour mettre en valeur l'art de la danse, qu'on ne peut généralement admirer que depuis le fin fond oblique des corbeilles obscures, car une place à l'orchestre un peu devant et un peu au milieu, ça coûte facilement un demi-mois de SMIC, surtout si la compagnie est russe, car c'est forcément un gage de qualité dans cet art affreusement bourgeois, et de toute façon tous les vieux abonnés ont déjà acheté leur siège depuis deux saisons alors c'est sans espoir."
Il faut croire qu'elle fut de courte durée. Car si la musique est somptueuse (idée pour un moi futur : regarder un ballet les yeux fermés) et qu'il y a en effet deux ou trois scènes un peu jolies montrant des petits pas gracieux, la grande seconde moitié du film sombre dans le ridicule outrancier le plus grotesque. Personnellement, la danse du cygne noir m'a laissé très perplexe : pourquoi sabrer la métaphore délicate du monde aviaire que porte la chorégraphie par cet effet spécial franchement moche ? N'est-ce pas utiliser le pire du cinéma (le trucage numérique hyperréaliste) pour massacrer le meilleur de la danse (l'évocation) ? Les calligraphes japonais savent dessiner l'oiseau se posant délicatement sur le lac sacré du Rokuon-ji un matin d'automne alors que le soleil se lève sur les montagnes de l'est et que la brise agite doucement les hauts bambous en trois coups de pinceau, il faut un million de dollars à Aronofsky pour montrer qu'une actrice qui agite les bras en est un. Un peu dommage, je dirais.
Je ne reviendrai pas sur la grossièreté des ficelles utilisées pour montrer la "descente aux enfers" (ou toute autre expression galvaudée) de l'héroïne pourtant bien mignonne comme une petite souris insupportable qui grignote des biscottes dans nos placards, sonorisation pas très subtile, effets de manches balourds, symboles éculés, je me conterai juste de demander : pourquoi ? Pourquoi la danse est-elle, de tous les arts, celui qui inspire le plus ce genre de fantasmes ridicules ? D'Amélie Nothomb (pour qui une danseuse ne peut être qu'anorexique) à Joséphine Ange Gardien, de Smash à Black Swann, ces pauvres danseuses ne sont présentées que comme de véritables psychopathes perfectionnistes, autodestructrices et hypocrites, autant de traits de caractère qui, dans un tout autre milieu, seraient considérés comme des qualités (transposons-les, en imagination, dans le cercle très fermé des conseils d'administration majoritairement masculins des grandes entreprises financières multinationales : banco). Ne peut-ton pas estimer, de temps en temps, que les danseurs sont des artistes comme les autres, pouvant avoir parfois un peu de surmoi et un peu de raison ? Je sais pas, moi, j'ai vu Pina et ils n'avaient pas l'air complètement allumés. Moins, en tous cas.
En définitive, voir le film ne m'a pas vraiment fait changer d'avis - avis dont j'avais eu l'intuition en apprenant que Natalie Portman avait obtenu l'oscar de la meilleure actrice (si les oscars récompensaient les meilleurs, ça se saurait et Jean Dujardin n'aurait pas quitté Nice). Au mieux, cela m'a un tout petit peu réconcilié avec la danse classique, ce qui n'est finalement pas trop mal.