Ma chère Petite,
Ce que tu m'as offert m'a fait très plaisir, tu sais. Autant que la surprise que tu m'as faite. Je n'osais rêver de cette séance partagée. Jusqu'ici, tu avais toujours refusé mon invitation, dans un sourire. Mais aujourd'hui, ta réponse franche et gentille m'a charmé.
Ce film que tu as apprécié en ma compagnie, cette danseuse dont la santé mentale vacille, je l'avais déjà vu. La première fois, tout seul, pour m'en imprégner et le goûter. La deuxième fois, tout seul à nouveau, pour me remettre du choc. Puis enfin avec toi, pour te le faire découvrir, le charme toujours intact. Revoir la performance de Natalie Portman est à chaque fois estomaquant et nous fait sentir à quel point la vie de danseuse est difficile, douloureuse et courte. Vivre pour la troisième fois sa perte de repères et sa chute dans la folie est toujours aussi vertigineux, rappelant la trouble Mima, l'héroïne de Perfect Blue.
Je t'ai sentie te raidir et prendre peur à plusieurs reprises, avec ce papi pervers dans le métro, tous ces portraits dessinés qui prennent vie ou ce danseur se transformant en corbeau. C'est cette irruption du fantastique dans le quotidien de la danseuse qui scotche et prend à la gorge le spectateur, le précipitant dans un piège vénéneux. J'ai vu plusieurs fois ta poitrine menue se soulever quand Natalie s'arrachait les ongles ou retirait douloureusement les plumes se développant sous sa peau, expression et contamination de la déstabilisation mentale de l'héroïne.
Mais la vie routinière de la jeune fille n'a rien de plus réjouissant, coincée entre une mère ogresse castratrice la confinant dans sa chambre et son âge de petite fille, un directeur de ballet pervers qui la pousse dans ses derniers retranchements physiques et psychologiques et une ancienne étoile evincée et cassée. Et ce ne sont que dans les corps à corps fantasmés avec son amie / double / projection contraire que Nina se libère, d'abord dans un flirt brulant commencé dans un taxi, que j'aurais voulu imiter. Jusque dans un combat final halluciné où, portée par sa folie, Nina accède enfin à l'ultime perfection.
Cette magie de l'instant et ces émotions que j'éprouvais sont restées longtemps en moi et j'aurais voulu suspendre le cours des choses. Mais c'est après le générique de fin et un baiser chaste que j'ai renoué avec la réalité. Le moment partagé avec toi allait toucher à sa fin. Il ne me resterait que ces souvenirs, gravés pour toujours dans la pellicule de ce film. Et je ne pourrai jamais m'empêcher de sentir ton parfum, de penser à ces moments de grâce passés en ta compagnie, à chaque fois que je reverrai ce film merveilleux.