Quelle claque ! Après le mitigé The Wrestler, son précédent film avec Mickey Rourke, Darren Aronofsky revient à son plus haut niveau et nous propose un sublime conte fantastique dont seul lui a le secret. Remballez 2011, on a trouvé le meilleur film de l'année dès les 15 premiers jours, c'est bon. A l'année prochaine, bye-bye.

Black Swan raconte l'histoire de Nina (Nathalie Portman), une jeune danseuse de ballet en compétition avec Lilly (Mila Kunis) pour le rôle titre du Lac des Cygnes de Tchaikovsky, mise en scène par Thomas Leroy (Vincent Cassel). Ce dernier a l'idée de confier les deux rôles forts du ballet (le cygne blanc et le cygne noir) à la même personne. Nina décroche le rôle mais la pression et la peur de décevoir est trop forte si bien qu'une faille se dessine en Nina, altérant sa personnalité.

AUCUN CYGNE DE FAIBLESSE

L'idée de génie d'Aronofsky est finalement très simple : mettre en abîme l'histoire du Lac des Cygnes. Ainsi, Cassel fait figure d'alter ego du Prince du ballet, tombant sous le charme du Cygne blanc Nina, être fragile et craintive ; Lilly quant à elle serait le double maléfique de Nina, le Cygne noir qui vient voler dans les plumes de l'héroïne. Mais je ne peux en dire plus. Cette idée fonctionne à merveille, si bien qu'on est surpris de ne pas l'avoir vu au cinéma plus tôt. Il reste que cette histoire convient parfaitement à l'univers d'Aronofsky, proche des thématiques qui l'intéresse mais aussi d'un point de vue graphique (pour preuve les différentes affiches du film, d'un style tout particulier, ou les jeux avec les miroirs pour évoquer la fragmentation de la personnalité de Nina). La mise en scène rappelle Requiem For A Dream, notamment la scène dans le night-club où Nina qui apparaissait lisse et quasi virginale jusqu'à présent rencontre l'alcool et la drogue, introduisant petit à petit la séquence finale du film.

Aronofsky a le don de savoir jouer avec le malaise du spectateur. Le film nous fait subir une tension permanente, nous fait ressentir le mal-être de Nina, le rendant contagieux. L'ambiance est l'atout principal du film. Si le film contient quelques images violentes, elles sont cependant rares et n'apparaissent qu'à la fin, après une lente descente en enfer. J'ai rarement connu une telle peur au cinéma. Il m'est difficile de la décrire. Une belle peur, une peur qui soigne, transcendante. Rien de fondamentalement effrayant. Rien de gratuit non plus. Il s'agit d'une peur libératrice, le Cygne peut prendre son envol. On est à l'opposé de Requiem For A Dream en un sens ; une fois de plus, je ne peux en dire plus sans vous révéler la fin du film. Que c'est frustrant.

UN QUARTUOR D'ACTEURS ÉPOUSTOUFLANTS

Le réalisateur sait également s'entourer d'excellents acteurs et Black Swan ne déroge pas à la règle. Nous avons droit à un magnifique pas de quatre. Natalie Portman mérite tous les prix de meilleur actrice de la Terre entière. Bon nombre d'actrices se seraient casser les dents sur ce rôle, seraient passées à côté. La prestance à l'écran de Portman nous emmène là où elle ne nous avait jamais emmenée. On y devine la rigueur des entraînements de danse, le travail intérieur pour ce rôle vraiment casse-gueule puisqu'elle doit jouer à la fois le Cygne blanc et son radical opposé le Cygne noir. Cassel est vraiment parfait dans ce rôle de chef d'orchestre intriguant qui mène ses filles à la baguette. Il donne le ton du film comme s'il était l'alter ego du réalisateur, allant même jusqu'à dire dans le film qu'il souhaite une version « plus viscérale » du Lac des Cygnes (ce qui est parfaitement le cas du film). Mila Kunis est troublante et désirable. Winona Ryder, la touchante danseuse étoile qui brille de ses dernières lueurs est en retrait du film, sur la sellette, du moins jusqu'à un certain moment du film. Ces acteurs sont servis par un dialogue aux petits oignons. Les répliques sèment ici et là des petites révélations en ce qui concerne le revirement final.

APOTHÉOSE

Le film joue tant sur la torture psychologique que sur le corps lui-même. Il est évidemment question de danse et donc du mouvement du corps mais le plus dérangeant dans le film est sans doute le rapport au corps de Nina qui entame au cours du film une transformation tant psychique que physique. Elle devient ce Cygne noir. Chaque coupures, chaque griffures, chaque plaies vous glacent le sang et vous hérissent le poil. Le corps de Nina est martyrisé et en perpétuel souffrance.

Cette douleur physique que partage Nina et le spectateur atteint des sommets à la fin du film qui rappelle celle du Concert de Radu Mihaileanu, film moyen qui a été sauvé par sa fin grandiose. Ici, le film est magnifique dans toute sa durée mais l'acmé final est bouleversant. Dans le film, tout est affaire de perfection, maître mot de Nina. Ce mot révèle toute sa force, toute sa splendeur dans les dernières secondes du film d'une rare intensité dramatique. D'un battement d'aile, le film s'envole et prend une tournure certes un peu attendu si on a compris la mécanique du film et s'il on a retenu l'histoire du Lac des Cygnes (qui connaît plusieurs fin selon la version du ballet) mais qui est la bienvenue. Pari toutefois risqué : Aronofsky et Portman ont-ils atteint la perfection ? Il faut sans doute être bien sûr de soi pour dire cela, mais le constat est clair : ils l'ont fait.

UNE MUSIQUE ENIVRANTE

La musique de Clint Mansell est tout simplement merveilleuse. Bien-sûr, le thème de Tchaikovsky est repris mais il est sublimé et modernisé (quelques morceaux du film sont d'autres artistes comme les Chemical Brothers avec Don't Think pour la scène épileptique du night-club). Les cuivres explosent dans les oreilles, les violons font s'envoler les ballerines et les craintes, les percussions frappent le cœur jusqu'à vous faire craquer. On ressort de la salle abasourdi, par ce qu'on a vu, ce qu'on a entendu. On fredonne la mélodie dans le métro, on s'endort avec des plumes dans la tête.

EN RÉSUMÉ

La virtuosité d'Aronofsky est presque insolente. On imagine un tournage éprouvant mais le résultat est à la hauteur de nos espérances et plus encore. Le film ne tombe jamais dans la facilité, le réalisateur ne prend jamais la main du spectateur paniqué et apeuré. Tout y est en subtilité et en délicatesse jusqu'à une fin grandiose où les émotions explosent littéralement. Tout déborde en moins de 5 minutes. Joie, peine, soulagement, regret, accomplissement, échec, réussite, passion, satisfaction... Perfection.
Vivian
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le 15 janv. 2011

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