Tout ce qu'elle a toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le faire.

La quinzaine des cinéastes est une de ces sous-section cannoise, qui en dépit de quelques films plus que grand public, recèle de vrais trésor d’art et essai au sein du septième art. Après un florilège de bonnes surprises ou de déceptions, Blackbird Blackberry fut pour ma part ma part ma dernière séance de ces rattrapages de la Quinzaine, après un marathon de près d’un mois, très souvent à l’aveugle. Peu d’images, voire de bruit autour d’œuvres plus ou moins mystérieuses, qui sortent souvent même des radars des cinéphiles les plus avertit, et dont le peu d’audience donne une certaine part de frisson (et de plaisir un peu mesquin il faut se l’avouer). C’est d’autant plus une rareté qu’il s’agit d’une des rare proposition cinématographique de la Géorgie, un de ces pays d’Europe de l’Est dont on voit rarement exposée les œuvres, mais qui avec Cannes, bénéficie d’une structure médiatique trop souvent inouïe (bien qu’à une certaine mesure) et qui a finit par me donner envie. Pourtant, derrière l’apparente inaccessibilité (ou du moins sous-médiatisation), Blackbird Blackberry est une œuvre ô combien universelle, et qui rappelle que même deux lointaines frontières ne peuvent empêcher de lier deux individus par un sentiment tel que le désir. Car comme on peut le deviner face à ce titre aussi bien sensuel que poétique, en français, Merle, Mure remet sur la table un récit d’émancipation féminine autour d’une recherche de la sexualité à l’encontre des traditions locales, la différence majeure réside dans le personnage en lui-même : une femme vieillissante, de 48 ans mais qui semble en faire 60, qui n’a jamais connu l’amour et qui semble décidé à se lancer dans le grand bain. Au-delà du contexte social et géographique, sur fond de ruralité plus que prononcée, qui ne serait pas sans rappeler notre propre diagonale du vide, l’abandon amoureux se mute en abandon social, où seul des désirs profonds et intérieurs pourraient changer la donne, et sauver cette femme du conformisme dans lequel baigne ses voisins.

Dit comme ça, Blackbird, Blackberry (nan mais quel beau titre putain), a tout du récit complexe qui laisserait sur la touche bon nombre de spectateurs. Pourtant, il n’en n’est rien ou du moins peu, car le troisième film d’Elene Naveriani est d’une simplicité d’exécution voire de forme presque désarmante, malgré un sens de la mise en scène et de la technique qui fasse plus que mouche. La réalisatrice tient avant tout à nous mettre en scène la vie morne d’Ethéro (choix de nom pas des plus subtil oui), qui subit elle-même une sorte de malaise social, où sa vie répétitive et fade nous est retransmis en pleine face. L’événement déclencheur, c’est sa rencontre importunée avec un merle, qui va démarrer sa quête d’éveil à la sexualité, mais dont la prémisse lui sera immédiatement reprochée. Comme une enfant, Ethéro est prise à partie par certains de ses voisins, qui vont tenter de la remettre dans un semblant de droit chemin face à ce récent désir d’émancipation. Il faut dire que là où une prémisse aussi banale pouvait très vite dériver sur l‘autoroute du conventionnel, la réalisatrice prend finalement un virage inattendu dans le traitement de son héroïne ; soit, en en faisant un personnage en premier lieu antipathique, bourrue, qui porte sur elle le poids de sa vieillesse. On sent que la tension qui la relie entre elle et son voisinage est loin d’être naissante et les personnages en devienne dès lors bien plus denses et ambiguës, c’est le genre de détail qui donne du mérite à un métrage en apparence plus simple. La dynamique entre les personnages est donc dès lors singulière et prenante, plutôt inattendue même, malgré un développement un peu plus linéaire sur le papier bien que narré de manière lancinante. La narration est peut-être un des point les plus décevant par rapport à ce long-métrage, car au-delà de sa prémisse, il n’est pas des plus inattendu malgré qu’il traite avec toute la singularité précédente certaines scènes attendues comme cette première scène de sexe qui de part sa signification symbolique (par exemple le lieu, soit le magasin où travaille Ethéro et qui montre un littéral chamboulement de son quotidien) et ses efforts esthétiques. Cependant, au-delà du rythme encore une fois très lancinant bien que pas des plus désagréable, Blackbird Blackberry pêche un peu plus dans la dépiction de ses personnages secondaires, très oubliables en grande partie car assez artificiels pour ne pas dire programmatiques (c’est mon mot préféré décidément). Ils servent bien plus les thématiques du films, en grande partie liés aux commérages à l’encontre d’Ethéro, et un conservatisme primaire. D’autant plus qu’il sont assez nombreux, et que malgré ses 1h50, le long-métrage, les développe de manière hétérogène et m’a semblé en laisser beaucoup aux oubliettes. S’ils savent, par leur direction d’acteur, créer du malaise, du rire ou même du tragique, ils ont un impact bien moindre en dehors du pur cadre fictionnel, où leur fonction s’arrête ici. Malgré tout force est de constater que c’est bien Eka Chavleishvili qui porte le film autant pour son personnage que sa performance, qui donnent tous les deux corps à ce récit plutôt singulier dans sa prémisse, mais qui malheureusement tombe par petits bouts dans certaines conventions d’écriture.

En outre d’un récit plutôt convenu sur de nombreux aspects, la vrai force du film d’Elene Naveriani, c’est sa manière de mettre en scène subtilement, mais avec énormément de rigueur, ce Blackbird, Blackberry. Pour le dire simplement, la mise en scène réussit à être à fleur de peau, sans pour autant requérir d’un arsenal technique ample, seules des petites touches dans la mise en scène viennent appuyer cette idée. Même si la réalisatrice maîtrise son cadre et reste prompte à une ambition souvent palpable, il n’y a jamais de démonstration de force dans ce long-métrage ; le genre d’image putassière qui vient marteler la grandeur d’une image et le talent du metteur en scène. Pas d’extravagance incongrue ici, Blackbird, Blackberry reste à la hauteur de son personnage principal, et tout simplement à hauteur d’homme. Les effets principaux reconnaissable au sein du long-métrage reste indubitablement pour moi la lumière à la fois complètement maîtrisée et changeantes au cours des séquences, adaptative je dirai même. Cette lumière est toujours présente dans le but de venir amplifier sans pour autant surligner les émotions véhiculées par le long métrage, elle suit les personnages voire la scène, rase les comédiens, les décors, les paysages, etc. C’est sûrement une de mes plus belle surprise à propos de Blackbird, Blackberry, la mise en scène toujours très proche des personnages, à fleur de peau encore une fois, intime donc, mais réalisé de manière bien moins conventionnelle qu’attendu. Se déconnectant presque de son versant réaliste pour ne pas dire naturaliste. Sans pour autant être sensationnelle, la caméra d’Elene Naveriani réussit toujours à surprendre et dynamiser le rythme en dent de scie par le biais de son rapport entre la technique (lumière, photographie, etc.) et les corps qu’elle filme à la fois sur le versant physique que psychologique. Alors ce n’est clairement pas révolutionnaire, mais plus que suffisamment bien détroussé pour le rapporter. Cela apporte un vrai contraste entre des scènes profondément simples et ancrés dans le réel de cette campagne Géorgienne, qui se confrontent à des instants beaucoup plus poétiques voire oniriques, qui ont autant à faire avec la psychologie et l’évolution d’Ethéro, que le développement de son désir ; tout en créant des images proprement belles et impactantes pour l’œil. Le tout créé dès lors un portrait de femme tout simplement émouvant, car au-delà de l’antipathie que provoque le personnage principal à l’entame du long-métrage, la réalisatrice réussit à nous immerger dans son quotidien, ses galères et ses émotions, pour nous donner à ressentir une empathie inattendue ; qui se confronte à la fois aux commérages des voisins, et la vieillesse. Au-delà de certains personnages fonctions et une écriture parfois un peu trop forcée, Blackbird Blackberry reste une vraie lettre d’amour à sa protagoniste et à la notion de désir sexuelle, amplifiée par une mise en scène discrète mais sublime dans son rapport au corps et à la nature.

Un petit film certes, mais un qui en a sous le capot à bien des égards, qui sous son esthétique naturaliste, se démarque par ses jeux de lumière jamais gratuits, qui viennent approfondir un personnage ambiguë qui se démarque face à une myriade d’autres plus artificiels.

Vacherin Prod

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