Pour son centième film, Takashi Miike s'attaque à un monument avec l'adaptation du manga l'Habitant de l'Infini de Hiroaki Samura. Une œuvre chère à mes yeux, alors adaptation réussie ou à éviter ?
La vengeance est un plat qui se mange chaud
Dans le Japon de l'ère Edo vit Manji, un samouraï errant immortel. Il y a 50 ans il a perdu sa petite sœur au cours d'un règlement de comptes où il a décimé une centaine d'adversaires. Depuis il (sur)vit sans but réel jusqu'à ce qu'une jeune fille, Lin Asano, vienne le trouver pour qu'il soit son garde du corps et lui permette de se venger d'une bande d'individus (le Ittô-Ryû) qui a emporté sa famille. La traque peut commencer.
Le film va alors alterner différents affrontements. Il y a de quoi faire (le film s'adresse aux plus de 16 ans) même si Takashi Miike ne rend pas le résultat insoutenable. Il y a des membres qui volent, du sang qui gicle mais une certaine retenue s'observe, qui ne fait pas tomber le film dans le gore ou le trash. Les combats ont d'ailleurs un aspect western : on a l'impression d'être plongé dans Il était une fois dans l'Ouest, sauf que les personnages ont des lames et non des armes à feu entre les mains.
Le rythme offert est élevé ; les échanges entre personnages sont synthétiques, c'est le prix à payer pour parvenir à boucler l'intrigue. Une intrigue qui reprend assez fidèlement le déroulement des premiers tomes du manga avant d'accélérer pour nous offrir un final d'une vingtaine de minutes environ qui va s'efforcer de conclure l'histoire.
Fidélité et changements
Takashi Miike a été respectueux du matériau de base : les vêtements correspondent à ceux du manga (Manji n'arbore pas la Svastika), physiquement aussi des ressemblances s'observent. Pour autant, la psychologie des personnages a été retouchée : si Manji a toujours son franc-parler, Makie (une "escrimeuse" du Ittô-Ryû) explicite bien davantage les recoins de sa personnalité (un peu trop parfois) quand Kagehisa Anotsu (leader du Ittô-Ryû et ennemi numéro un de Lin) est sacrifié surtout sur la fin.
Blade of the Immortal offre aussi des scènes qui feront sourire les téléspectateurs : de Habaki Kagimura dégustant des onigiri pendant que le combat fait rage au splash sanglant de Shira dans l'eau en passant par les répliques de Manji (qu'elles soient humoristiques voire cinglantes) et quelques envolées « tarantinesques », le film implante des moments de relâchements dans l'action voire après (il faut voir Manji râler alors qu'il essaye de récupérer la main gauche qu'il s'est tranchée quelques instants auparavant pour être plus libre de ses mouvements) ce qui lui confère une certaine douceur.
Aussi à travers les 140 minutes de cette production, on voit apparaître certaines différences par rapport au matériau de base. Déjà parce qu'avec son rythme le film écrase le temps. De plus, au fil du film, la capacité de régénération de Manji va être limitée et certains thèmes davantage mis en avant : la force de rappel du passé, des souvenirs et la force que l'on peut en tirer. Ou le désespoir...
Le compte est-il bon ?
Dans ce déluge d'action, on ne peut que saluer la performance des acteurs principaux. Une implication salutaire même si certains personnages occupent une maigre portion dans le film (Giichi et Hyakurin par exemple), réduisant leur passage à quelques répliques. Cette réduction s'observe aussi dans les affrontements notamment ceux entre Manji et Shira voire entre Kagehisa et Habaki. Moyen de rappeler que les combats ne durent souvent que quelques secondes dès lors qu'une ouverture est exploitée par l'un des deux adversaires. Mais cela réduit le souffle du film.
En effet, un des points importants de l'Habitant de l'Infini concerne sa galerie de personnages et le duo Kagehisa-Makie. Ici, en dehors de Lin et de Manji il n'y a pas vraiment de personnages qui émergent. Certes cela sert le propos du film qui tourne autour de la vengeance de Lin, l'interroge ponctuellement, mais on aboutit à une réduction des enjeux, de la portée des thèmes, de l'exploitation de l'univers et de la profondeur des personnages. On s'attache bien moins à eux quand certaines scènes feront bondir par le culot de la réalisation.
Quelques mots sur cette dernière : la copie livrée est de bonne facture. La caméra bouge lors des scènes d'action (il n'y a pas ou rarement de plans fixes), elle tourne autour de Manji, de Kagehisa... comme le tourbillon de sang en train de naître à leurs pieds. On retrouve bien le côté crasseux des combats (même si le lendemain les vêtements sont à nouveau 100% neufs) tout comme la fluidité des mouvements de Makie. De plus à travers les plans, le côté resserré des paysages, des lieux explorés on voit une clôture, comme si la vengeance qui anime les personnages les enfermait dans un vase clos où ils devaient tous s'entretuer car à la fin il ne peut en rester qu'un...
Que vaut une vie ?
Avec Blade of the Immortal Takashi Miike livre un film live qui remplit le cahier des charges côtés rythme, action, humour. Avoir entre les mains 140 minutes de ce genre ne se rencontre pas tous les jours. Toutefois, en un seul film, l'adaptation ne peut qu'amputer l'œuvre d'origine sur plusieurs points. D'où un univers moins bien exploité, des scènes marquantes absentes ou alors traitées sommairement. Celles et ceux qui sont familiers avec le manga devraient donc rester sur leur faim tant la poésie sanglante et magistrale de Hiroaki Samura ne se retrouve qu'à de rares endroits.
Version moins charcutée et avec des images par là.