Blade Ruinneur
Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...
le 4 oct. 2017
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Une suite à Blade runner, chef d’œuvre inégalé des années 80, avait tout d’abord de quoi inquiéter et rendre dubitatif sur l’intérêt d’un 2ème volet. Blade runner avait en effet marqué les esprits pour son empreinte visuelle particulière, des technologies avancées dans un futur sombre et décadent, des villes méconnaissables où des voitures volantes survolent des bâtiments en forme de pyramide, des créatures fantasmagoriques revêtues de costumes plus qu’étranges errant dans les rues, une composition musicale qui induisait une atmosphère envoutante et dérangeante à la fois. Aucune œuvre sur un futur dystopique n’était parvenue à égaler cette ambiance. Ce film pas comme les autres ne pouvait donc s’apprécier de la même façon. S’adressant à un public d’initié plus qu’au plus grand nombre, il ne faut pas rechercher de l’action, mais s’immerger dans cette ambiance particulière, être attentif aux nombreuses réflexions malgré un scénario épuré qui ne s’embarrasse pas d’éléments superflus ni de remplissage. Produire une suite qui aurait trahi original aurait eu des airs de scandale impardonnable. L’annonce de Denis Villeneuve aux commandes avait cependant de quoi rassurer. Ce réalisateur à l’aise dans les thrillers psychologiques faisant la part belle aux questionnements psychologiques, aux ambiances oppressantes associées à un rythme posé, avait également prouvé son savoir-faire en science-fiction avec l’excellent « premier contact », qui en plus d’une prouesse visuelle notable, ne se montrait pas avare en réflexion en traitant de la réaction de l’humanité face à l’inconnu.
« Blade 2049 » prouve qu’il s’agissait d’un bon choix, et que malgré les craintes initiales cette suite avait finalement matière à se justifier.
Tout d’abord, l’empreinte visuelle unique est respectée. Que ce soit les rues opaques de villes surpeuplés ; les chutes de neige où de pluie, rares signes du monde extérieur à encore atteindre ce monde entièrement artificiel ; l’ancienne métropole abandonnée transformée en désert post apocalyptique rougeoyant, tel une autre planète où l’humanité autrefois grouillante n’a plus sa place ; l’affrontement au milieu des vagues ; des hologrammes publicitaires plus vrais que nature qui alpaguent le passant esseulé ; ce monde urbain qui n’en finit pas de s’étaler, pour en lieu et place de la nature ne laisser la place qu’à de sinistres décharges où vivent le rebus de l’humanité ; ces couloirs monochromes d’un autre monde d’une grosse entreprise. Villeneuve ne se contente pas de répéter le même schéma visuel, il le prolonge en y ajoutant ses propres variations, tout en conservant le même thème.
Concernant l’ambiance sonore, la musique reste dans le même thème, avec un aspect appuyé pour susciter le malaise chez le spectateur, quoiqu’un aspect un peu trop appuyé, artificiel. Quelques notes qui se répètent un peu, mais aussi des fulgurances musicales qui aident à favoriser une profonde empathie chez le héros.
Comme avait su faire le premier film, l’association des puissantes séquences visuelles et l’impact de la bande sonore sur l’appareil auditif aident à créer une empreinte durable de certaines scènes dans l’hippocampe, le siège de la mémoire, qui est relié aux amygdales, zones contrôlant les émotions.
30 ans après les événements du premier film, le réel cède de plus en plus de la place au virtuel. Des entreprises proposent des IA en forme d’hologrammes pour les âmes seules, dont la force de l’illusion dépendra de l’argent que le client est prêt à investir. La solitude et les désirs non satisfaits sont de toutes évidences un marché prospère. De faux souvenirs sont fabriqués et insérés dans les nouveaux réplicants, afin qu’ils ne sombrent pas dans la folie. La base matérielle a beau être différente, les structures restent identiques, mémoire et émotions sont inextricablement liés. La société en est arrivée à un point où elle se retrouve obligée à créer d’avantage de mensonges pour maintenir l’illusion stable.
Mais peut-on blâmer ce marché du faux, quand l’illusion apporte tant de réconfort ? Alors que la réalité a cessé d’en procurer ?
La dystopie dépeint dans blade runner n’est en rien similaire à 1984 ou Fahrenheit 451. Pourtant, par sa déshumanisation poussée, elle suscite une toute autre forme de rejet et d’effroi.
Dans ce monde où les contacts humains reculent, les IA ne cessent d’être de plus en plus sophistiqués. Ils acquièrent des caractéristiques humaines que les hommes perdent de plus en plus.
« Plus humains que les humains ».
La machine, comme l’homme, part en quête de sens dans un monde qui n’en a plus.
La frontière devient plus floue, entre l’homme et la machine, le réel et virtuel.
Cet aspect appuyé sur cette frontière de plus en plus floue, est un apport notable de Denis Villeneuve par rapport à l’œuvre de Ridley Scott. On retiendra la formidable scène où l’IA de compagnie du protagoniste se synchronise avec une femme, pour que leur amour ait un support matériel. Une scène qui dérange à la fois qu’elle fascine.
Il apparaît que les réplicants ont franchi un nouveau stade d’évolution, qui pourrait bien tout changer, changer l’ordre des choses. La création échappe de plus en plus à ses créateurs. Et n’est-ce pas le propre de la vie que de dépasser les conditions de son apparition ? D’évoluer ?
Comme dans « premier contact », l’humanité est confrontée à quelque chose qui la dépasse. Certains y voient un progrès, une révolution pour l’humanité, d’autres la promesse de chaos, un danger, qu’il faut supprimer.
L’officier K, un réplicant comme tant d’autres en apparence, se retrouve entre les deux. Ce blade runner, qui éliminait ses semblable sans sourciller, au plutôt en empêchant les lignes de remords d’être exprimés, bloqués dans un programme de conditionnement, commence à douter. L’éternelle question existentielle qui hante l’humanité depuis l’aube des temps n’a pas été épargnée à ces créatures artificielles, jetées sans ménagement dans un monde qui a cessé depuis longtemps d’apporter du sens : qui suis-je ? Quelle direction donner à ma vie ?
K/Joe va apprendre une révélation le concernant, susceptible de donner enfin un sens à sa vie, lui donner une identité propre, plus qu’un simple modèle produit en copies. Une révélation effrayante en raison des nouveaux dangers qu’elle est susceptible d’apporter, mais aussi séduisante, car lui conférant une distinction par rapport à ses semblables. Car au fond, « on n’aspire tous à être exceptionnel ».
Mais comme bien des hommes avant lui, Joe va apprendre qu’il est aisé de se tromper sur les signes du destin.
Even and android can cry.
K n’est pas le fameux bébé issu de la relation entre deux réplicants. Il n’est pas l’être exceptionnel qu’il avait commencé à être persuadé d’être.
Comme le héros, le spectateur avait naturellement pensé qu’il était cette créature que tout le monde recherche, mais le film n’hésite pas là à rompre avec les codes scénaristiques habituels. K alias Joe n’est finalement qu’un réplicant comme les autres. Il devra trouver un nouveau sens à son existence, peut-être le trouvera-t-il dans la façon dont il la terminera ?
Le film répond à la question qui avait fait cogiter tant de spectateurs, à savoir si Deckard est oui ou non un réplicant, comme c’était suggéré à la fin du premier film. Le film y répond sans ambages, un peu brutalement comme s’il s’agissait d’une évidence qui ne méritait pas de laisser traîner le suspens plus longtemps. Harrison Ford retrouve avec aisance son ancien personnage, même 30 ans après.
On pourra toutefois regretter que le final n’arrive pas à la cheville de celui de l’original, avec la sublime confrontation entre Deckard et Roy Batty, le leader des réplicants rebelles, devenu un moment fort du cinéma. Un final qui fait toutefois écho à ce célèbre monologue « All those moments will be lost in time, like tears in rain. Time to die »
Villeneuve opère une réutilisation bienvenue d’éléments du premier film, sans tomber dans le fan service, comme l’ancien blade runner Gaff (Edward James Olmos), toujours confectionneur d’origami, et des images de la ravissante Rachel, l’amour de Deckard.
Les suites réussies ne sont pas la norme, les suites réalisées longtemps après l’original, bien souvent pour des raisons commerciales, sont quasi-inexistantes. Etant donné la qualité du premier, il y avait tout à craindre d’une séquelle. C’était sans compter sur le talent de Denis Villeneuve qui apparaître être l’homme à la hauteur. Il parvient à réaliser une suite dans la lignée du premier, respectueuse des caractéristiques visuelles comme de la thématique, tout en apportant sa touche personnelle. Un succès de plus au réalisateur de « premier contact », et une œuvre de plus à rajouter à la liste des films de science-fiction majeurs.
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Créée
le 13 oct. 2017
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4 j'aime
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