J'ai vécu Blade Runner 2049 comme une ivresse. D'abord époustouflé par son esthétique, frappé de claques sensorielles successives, j'ai cru, passé sa moitié, en pleine extase, toucher un chef-d’œuvre du doigt. Puis, très progressivement, ses défauts d'écriture sont apparus, venant gripper une mécanique apparemment impeccable. J'ai pourtant essayé de les relativiser, de les mettre en sourdine, de les pardonner comme autant de broutilles face à un univers aussi riche que celui qui m'était présenté. Mais force est de constater que mon enthousiasme était entamé, et n'allait pas cesser de chuter, jusqu'à en arriver aujourd'hui à admettre sa relative vacuité.


Il faut tout de même rendre largement hommage à la beauté de ce film, et à l'inventivité dont il fait preuve pour la mettre en scène. De nombreux plans coupent le souffle de par leur lumière, leur caractérisation chromatique à la fois magnifique et pleine de sens, ainsi que leur découpage millimétré. Je sais que la comparaison est émoussée du fait de son utilisation abusive, mais je pense pouvoir parler en pesant mes mots de véritables tableaux, impressionnants parce que visiblement composés avec soin et réflexion. Ce futur est organique, il semble vivre sous nos yeux par sa complexité, sa variété et sa froideur familière parce qu'en germe dans notre quotidien. Peu de films m'ont ébahi, et Blade Runner 2049 fait incontestablement partie de ceux-là.


Une autre grande qualité de l’œuvre est de savoir prendre son temps, sans jamais avoir l'air de le faire inutilement. Avec autant de choses à montrer, une telle quantité d'idées visuelles, je sais gré au film d'être contemplatif, de laisser au spectateur le temps de s'immerger dans un univers nimbé d'inquiétante étrangeté. Le film a du souffle, et parvient à avoir une réelle ampleur en très peu de temps, et à l'imposer en actes plus qu'en mots. Les personnages n'ont pas besoin d'expliquer la complexité de leur univers, puisqu'elle se déroule sous nos yeux, et c'est à mon sens la partie la plus séduisante du métrage. La maîtrise visuelle de Villeneuve et son sens de l'exposition narrative impressionnent, et l'imposent comme un réalisateur à suivre avec attention.


Dès lors, qu'a à dire le film ? Malgré des défauts importants, Blade Runner premier du nom m'avait particulièrement intéressé par son exploration de la fragilité de la séparation entre les humains et les réplicants, qui amenait à s'interroger sur le traitement et le destin injuste de ces derniers. Le fameux monologue final avait une puissance tragique indéniable, chargé qu'il était de cette interrogation existentielle qui bousculait les certitudes posées par l'univers présenté. Malheureusement, ladite puissance est aux abonnés absents de cette suite, faute de développement suffisant des personnages, qui semblent tous être des silhouettes, des esquisses, qui éveillent l'intérêt mais n'émeuvent jamais vraiment. J'ai d'abord pensé que ce problème était lié au jeu des acteurs, Gosling et Ford n'étant pas réputés pour leur expressivité, mais l'étendue du constat m'a fait ramener ce défaut à l'écriture.


À suivre des personnages trop légers dans un univers aussi dense, une frustration naît, alors que le film ne parvient jamais à approcher la profondeur qu'il affiche dans son esthétique. Sa clarté en devient désarmante : les réplicants en sont, sans discussion (renvoyant ainsi des années de théorie au placard), les méchantes entreprises vraiment méchantes, et les gentils des âmes pures. On va même jusqu'à tomber dans des clichés tellement éculés qu'ils en sont presque ridicules : le grand méchant qui fait de longs monologues creux, sa sbire qui ne montre aucune nuance, si ce n'est au début du film, mais l'oublie vite au profit de sa maîtrise du kung-fu... Le plus cruel est qu'une scène poignante montre K blessé, dont la puissance dramatique frustre encore davantage en ce qu'elle montre furtivement les dimensions émotionnelles et philosophiques qu'aurait pu avoir le film si l'écriture avait été plus soignée...


Cette œuvre est indéniablement un voyage, tant elle présente un univers dense, fouillé et cohérent. Mais son récit, qui se dévoile surtout dans son deuxième acte, ne se montre jamais à la hauteur, jusqu'à saper les fondements même d'une société si bien décrite, ou plus exactement dépeinte. Or, sans propos fort pour la soutenir, une telle structure esthétique fait l'effet d'un colosse aux pieds d'argile, dont la chute progressive est aussi douloureuse que sa beauté est grande.


À l'arrivée me voilà donc en pleine gueule de bois, parce qu'ayant, sans aucun doute possible, rêvé d'un long-métrage de science-fiction profond et intelligent, à défaut de moutons électriques, et m'étant réveillé devant une réussite formelle indéniable, mais cruellement creuse.

Larsen
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le 16 oct. 2017

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