Blade Ruinneur
Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...
le 4 oct. 2017
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Blade Runner a acquis, avec le temps et les visionnages, le statut d’œuvre culte et de Saint Graal intouchable de la SF au cinéma. Comment, dés lors, amorcer la suite d’une telle entité ? Bien sûr, personne n’y croyait vraiment… Puis, le nom de Denis Villeneuve a été annoncé. Puis, les premières images, les premiers trailers, ont débarqué. Une lueur d’espoir a alors fait son apparition dans la sphère cinéphile. Une lueur enflammée aujourd’hui par ce qui s’impose finalement comme un chef-d’oeuvre absolu et définitif. Récit d’un rêve éveillé.
What’s real ?
À l’heure où Hollywood se passionne pour le recyclage de films cultes et d’anciennes licences, les raccommodant au goût du jour en mettant souvent un point d’honneur à lisser et aseptiser leur côté subversif, il est assez incroyable de découvrir un édifice comme Blade Runner 2049. Sorte de bouclier ultime à cette uniformisation de l’art, le bébé de Denis Villeneuve est un film qui se suffit à lui même, qui n’est pas juste une longue mise en place dont le seul but serait d’engendrer une franchise lucrative. Blade Runner 2049 est une œuvre somme, complète et parfaitement aboutie. De plus, et alors que bon nombre affirmaient qu’il était tout simplement impossible de livrer une suite à la hauteur du film de Ridley Scott sorti en 1982, Denis Villeneuve trouve la formule magique et parvient à étendre l’univers du premier film de façon parfaitement organique. Le cinéaste canadien se nourrit de tout ce qui constitue l’univers et l’ampleur de Blade Runner et, plutôt que de le revomir bêtement, le digère, l’assimile et créé sur cette base un film qui lui ressemble, fait avec les tripes et le cœur.
Nous sommes donc en 2049, 30 ans après les événements du premier film. Les technologies ont évoluées, l’histoire s’est écrite et le monde a continuer de mourir à petit feu, un monde où l’on ne vit plus réellement, ou alors qu’en s’accrochant aux fantômes du passé. Les réplicants, robots humanoïdes créés par l’Homme et réduits à l’état d’esclaves, ont entamé la révolution il y a bien longtemps et sont aujourd’hui traqués par des agents appelés Blade Runners. Rouage silencieux de son environnement, K, l’un de ces agents, va ouvrir une porte menant à d’obscures secrets et entamer ainsi une quête existentielle obsédante semée d’obstacles. L’intrigue de cette suite s’avérera bien plus riche que celle du film de Ridley Scott (qui se voulait, lui, plus nébuleux) tout en prenant place dans sa parfaite continuité. Mais, aussi passionnante que soit l’histoire, la vraie force du film est ailleurs, ou plutôt, elle est partout. Quelque part entre ce sentier scénaristique principal, les digressions poétiques tétanisantes, les vagues happantes d’émotions brutes, les images éblouissantes de Roger Deakins et la musique merveilleusement conceptuelle de Hans Zimmer, le mariage parfait entre la technique et le fond s’opère.
Amour mécanique
2049 poursuit les questionnements philosophiques posés par le film de Scott et le roman de Phillip K.Dick tout en explorant de nouvelles pistes fascinantes. Qu’est-ce-que cela signifie, que d’être humain ? Une question qui a toujours passionné Villeneuve et qu’il n’a cessé de décliner tout au long de sa récente, mais non moins incroyable, carrière. Que ce soit avec Polytechnique et sa jeunesse perdue, Enemy et sa perte (ou découverte?) d’identité ou encore Premier Contact et ses communications impossibles, les œuvres du cinéaste parlent de notre rupture avec l’autre, et donc, avec nous même. Au fil de ses images, Villeneuve peint le portrait d’un monde perdu peuplé d’êtres esseulés, d’une humanité qui a sombré et qui ne sait plus vraiment à quoi se raccrocher… Le monde du futur n’est plus qu’une éternelle déclinaison, une copie d’une copie… En témoigne le personnage campé par la ô combien sublime Ana De Armas, sorte de « réplicante de réplicants » et ultime symbole de la chute de notre société et de l’abandon de nos réalités. La vie de chacun n’est donc faite que de substituts, témoins nostalgiques d’époques innocentes, désormais ensevelies sous les décombres de nos âmes perdues. Une idée au centre de ce qui reste probablement la plus belle scène du film, cette étreinte érotique faites de corps mêlés, tous synthétiques, tous volatiles, mais pourtant bel et bien remplis d’émotions, celles-là même que les humains semblent ne plus ressentir.
Le rapport aux corps et à la violence qui peut leur être fait, à la matière et à sa destruction, voilà une autre obsession de Villeneuve. Au milieu des immenses bâtiments noirs, des écrans publicitaires géants et des fumées toxiques, un semblant d’espoir peut-il perdurer ? C’est ce que semble nous dire le réalisateur, en travaillant ses images de façon incroyablement méticuleuse, il n’aura de cesse de confronter l’organique au mécanique. Des reflets d’eau constants sur des murs immaculés, des lumières évoquant les rayons d’un soleil mourant… autant de rappels à la vie qui perdure. Comme Roy Batty (Rutger Hauer) dans le premier film, K prendra conscience de sa nature au point d’accéder à des questionnements qui dépassent l’apathie mentale dans laquelle la société le maintient. Ryan Gosling confirme une fois de plus qu’il est l’un des grands acteurs de son temps, fidèle à son jeu hypnotique mêlant charisme silencieux et sensibilité enfouie. Sa quête existentielle le mènera dans des contrés mentales et émotionnelles insoupçonnées… Pour raconter cette fable mystique, Denis Villeneuve use certes d’une lenteur qui en rebutera plus d’un, mais il s’agit ici d’un véritable parti-pris et l’artiste articule minutieusement son récit autour de ce rythme hypnotisant. Blade Runner 2049 ose être un film qui prend le temps dans un monde qui file à toute vitesse…
Difficile de synthétiser l’incroyable densité de Blade Runner 2049. Audacieux, inventif et vierge de tout fan-service ou de quelconque forme d’insolence vis à vis de son aîné, le nouveau coup de maître de Denis Villeneuve honore son prédécesseur, l’enrichit et, osons le dire, le surpasse. Le réalisateur canadien prouve une nouvelle fois qu’il est l’un des plus grands cinéastes de son époque. Car les Kubrick, Scorsese et autres Spielberg qui ont fait fantasmer des générations entières de spectateurs, partagent avec Villeneuve cette même flamme qui nous fait rêver, réfléchir et voyager dans le temps et l’espace. Et dans un monde qui a plus que jamais besoin d’une prise de conscience pour ne pas finir dans la case de non-retour, 2049 s’impose comme un film nécessaire. Parfaitement en adéquation avec son temps, il nous dépeins un univers que le règne du tout-numérique, la toute puissance de l’argent et l’industrialisation avide ont finit de tuer. Mais il nous murmure aussi que, même au sein de la noirceur la plus absolue, l’espoir peut demeurer… Et qu’une nouvelle humanité, née des cendres de l’ancienne, peut voir le jour.
critique originale : https://www.watchingthescream.com/electric-dreams-critique-de-blade-runner-2049/
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Créée
le 8 oct. 2017
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