Blancanieves par pierreAfeu
Troisième adaptation du conte des frères Grimm en deux ans, film muet en noir et blanc... mais projet datant de 2004. Difficile pour Pablo Berger, non pas de succéder aux versions hollywoodiennes, mais de passer après le succès du french movie oscarisé, The artist. Si les deux films se rejoignent sur beaucoup de points, notamment dans un respect du muet qui réussit à ne pas sentir la naphtaline, ils s'avèrent très différents sur le fond, mais aussi sur la forme.
En situant son film dans l'Espagne des années 20, et en transformant le père de Blanche-Neige en torero, Pablo Berger inscrit son adaptation dans l'histoire de son pays. Le noir et blanc devient alors un jeu d'ombres et de lumières, entre le noir intense et le blanc lumineux - ce n'est rien de dire que les images sont magnifiques. La force de Blancanieves est de progresser, tant dans sa manière de transformer le récit, que dans un glissement continu entre la parfaite restitution d'un genre et de ses codes - le film muet - et une culture des images intimement contemporaine.
C'est après une introduction un peu longue (les parents, l'accident, la naissance, la mort), au moment où l'aventure de Carmen-Blancanieves commence réellement, que la mise en scène s'affirme : montage polymorphe et cadencé, parfois clipesque, narration elliptique parfaitement maîtrisée, au service d'une histoire qui s'affranchit du conte pour mieux le servir. Le lien œdipien père-fille est mis en lumière dans de magnifiques scènes ; la marâtre est folle de mode, de mobilier et de magazines de décoration ; les nains sont six, toreros de cirque, freaks au grand cœur. On identifie un grincheux, tandis qu'un autre est travesti. Un autre enfin, celui qui sauve Carmen une première fois, est juste fou d'elle. L'audace est là, magnifiée par le regard que la belle lui porte.
Les trois actrices ont la beauté profonde et puissante des héroïnes de cinéma. La superbe Maribel Verdu campe une belle-mère narcissique à la cruauté implacable, tandis que Sofia Oria et Macarena Garcia lui opposent une Blanche-Neige insolente et pure. Portées par la musique d'Alfonso de Vilallonga et les mains frappées par la foule de corridas ensorcelantes, elles incarnent les mythes du conte à la perfection.
Plus audacieux qu'il y paraît, mêlant respect et transgression dans une mise en scène affirmée, Blancanieves clame haut et fort son amour du cinéma.