Le deuxième film de Refn parenthèse entre le premier et le second Pusher, ne semble a priori pas vraiment s’en distinguer, ne serait-ce que pour son casting qui nous en fait revoir les trois personnages principaux. Dès le générique, on retrouve cette façon de présenter les personnages, avec l’apparition de leur prénom à l’écran, accompagné d’une musique personnalisée, à la différence qu’ils sont ici en marche, dans des travellings latéraux : moins frontal, moins âpre, Bleeder laisse en dépit de son titre supposer quelques ménagements que les bas-fonds de la drogue et du crime de la trilogie Pusher ne permettent jamais.
Deux histoires s’entremêlement : la première met en scène le décidément excellent Mads Mikkelsen dans un registre presque comique, cinévore tenancier de vidéoclub ayant du mal à décrocher de son univers de prédilection et tentant maladroitement de prendre contact avec le réel.
Alors que les mêmes conversations ineptes et émaillées d’ennui nourrissent l’exposition, la bande de potes qu’il occupe le prend progressivement en tenaille dans une violence latente et de plus en plus dévoratrice pour les autres destinées : celle d’un paumé sur le point de devenir père, et déprimé à l’idée de donner la vie dans ce monde de merde, et de son beau-frère, raciste et violent lui mettant la pression pour qu’il soit à la hauteur.
Bleeder ne nous épargne donc pas la descente aux enfers chère à Refn : filtre rouge, tabassages dans un club, menaces de mort vont bien contaminer la petite bande qui semblait pourtant se tenir à l’écart du monde criminel. La malice de l’écriture veut qu’on ait du mal, entre Léo et son beau-frère, à savoir lequel est le plus condamnable des deux Le traditionnel bain de sang (auquel en bon pervers, Refn ajoute cette fois du HIV, chaque fin de film semblant, à l’image de l’évier bouché aux viscères de Pusher 3, devoir contenir sa petite pépite gore) qui clôt leur rivalité semble davantage nettoyer le monde qu’autre chose…
Car en contrepoint, la figure de Tony, le personnage de Mads, progresse : du gore, il n’est question que sur les écrans, et sa quête consiste simplement à réussir à inviter la fille de la même rue à voir un film en sa compagnie. La séquence assez symbolique durant laquelle Léo, regardant un film avec lui et son beau-frère, questionne la crédibilité du film avant, la fois suivante, de se superposer à l’écran pour brandir une arme permet la rupture entre les deux récits : le rêveur cinéphile se dissocie des violents du réel et pourra continuer à vivre. La deuxième panne d’électricité, qui voit se braquer un projecteur très théâtral sur les tourtereaux, assume ce dérochage et annonce le baroque échevelée de Bronson. Si son personnage refuse d’aller sur la tombe de l’un d’entre eux, c’est pour mieux se diriger vers une autre forme de rêve, que Refn semble pour le moment fantasmer sans oser s’y frotter totalement : la romance. Il faudra pour cela attendre une bonne douzaine d’années, et au prix d’une violence encore éclatante : ce sera Drive.
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