Le rêve ! Simples serveuses, Frida et Jess vont croiser la route de Slater King, un playboy milliardaire qui va les inviter à séjourner sur son île paradisiaque avec sa bande d'amis.
Entre le luxe, le faste des dîners et les trips nocturnes sous psychotropes, les jours oisifs au sein de la sublime propriété de Slater se mettent à défiler. Peut-être un peu trop vite...
On la savait brillante comédienne, s'étant émancipée sans mal par son seul talent d'un nom qui aurait pu la cantonner au rang de "fille de", mais on n'imaginait pas que l'on sortirait aussi bluffé par les premiers pas de réalisatrice (et co-scénariste) de Zoë Kravitz ! S'inscrivant assez nettement dans ceux d'un certain Jordan Peele à l'époque de son "Get Out", et ce à bien des niveaux, "Blink Twice" va en effet -osons le dire- même parfois les surpasser par son impressionnante maîtrise narrative, où la forme se conjugue au fond avec une fluidité épatante pour un coup d'essai.
Les ficelles principales de l'intrigue -et le discours forcément féministe sur lesquelles elles débouchent- ont beau se laisser aisément deviner, l'art et la manière avec lesquels Zoë Kravitz nous les fait découvrir, sans doute acquis par son expérience d'actrice, va tout bonnement faire des merveilles pour faire déteindre l'esprit mis à mal de son héroïne à la conduite du récit et de sa mise en scène où les ellipses sont de facto reines (il convient de saluer également le sens aiguisé du montage dont le film ne cesse de faire preuve). Partant d'une exposition superbement emballée en quelques minutes par une utilisation (finalement toute bête) de nos outils modernes, la jeune réalisatrice nous immisce dans la magnificence de son cadre et de l'ambiance légère qui s'en dégage afin de toujours mieux y semer les graines d'une paranoïa rampante et se propageant telle une plante vénéneuse pour emporter l'esprit de son héroïne avec elle dans la répétition d'un quotidien faste et pseudo-idyllique. Certes, la destination semble connue d'avance mais "Blink Twice" nous empêche de cligner des yeux dans le voyage qui y conduit, trouvant toujours un moyen de nous captiver par la richesse des pièces du puzzle qui le compose.
Que ce soit par la force de ses personnages, aussi bien en termes d'individualités (attachantes ou terribles) amenées à se compléter que dans une gestion chorale savamment élaborée (chacun brille à un moment ou à un autre !), par le casting incroyablement bien sélectionné pour les camper (des actrices principales aux seconds rôles célèbres, mentions spéciales à Geena Davis, Christian Slater et Kyle McLachlan, en passant par un Channing Tatum dont celle qui est désormais sa compagne sait visiblement tirer le meilleur) ou encore par un mélange de tons tout aussi sidérant que désarçonnant par la subtilité de l'équilibre trouvé entre les rires (oui, le film est très drôle), la tension, l'angoisse, l'empathie ou un sentiment de rage/révolte évidemment contagieux, "Blink Twice" fait bel et bien partie de cette espèce rare d'aimant à yeux de spectateurs quasiment jamais pris en défaut sur toutes les formes et qualités qui se conjuguent dans sa narration.
Et, même si son propos s'inscrit dans une mouvance cinématographique féministe aujourd'hui bien connue, le long-métrage parvient aussi via ce biais à donner l'illusion qu'il ne marche pas trop en terrain conquis, ajoutant de très malignes cordes à l'arc de ce discours comme par exemple avec sa façon de représenter la soumission d'une ancienne génération ou de chercher à étoffer les raisons du mal immuable qu'il met en scène.
Bref, malgré quelques excès ou maladresses ici et là, on sort vraiment conquis par ce premier film de Zoë Kravitz qui transpire l'intelligence d'une actrice ayant su tirer le meilleur de ses projets devant la caméra pour les retranscrire aujourd'hui derrière. Et quelque chose nous dit qu'il y aura encore mieux venant de sa part à l'avenir, surtout si elle suit les traces de son manifeste modèle, Jordan Peele...