Faut il encore le préciser en préambule de cette critique ? Blonde n'est pas un biopic de la vie de Marilyn Monroe mais l'adaptation d'un roman éponyme de Joyce Carol Oates qui par le prisme de l'image même de sex-symbol de la célèbre actrice s'interroge sur la dualité quasiment schizophrénique entre Norma Jeane et Marilyn et sur l'image forcément fantasmée et glamour que chacun porte sur cette icône de l'age d'or d'Hollywood.
Et de glamour il sera bien peu question dans le film de Andrew Dominik tant il s'évertue à montrer les aspérités sous les couvertures glacées, les cicatrices sous les sourires forcés , les rêves de reconnaissances brisés sous un cauchemar de célébrité et la souffrance sous la prétendue futilité de la délicieuse blonde ingénue. Le film semble vouloir mettre un violent coup de marteau dans le miroir reflétant l'image radieuse de l'actrice pour nous livrer un étrange kaléidoscope qui mélange réalité et fiction dans un assemblage fascinant de multiples pièces de puzzle formant finalement dans les contours d'un cadre réaliste non pas le mais les portraits de Marilyn Monroe. Il existe sans doute autant de façon de voir Marilyn Monroe qu'il existe de regards, ce qui devient un profond cauchemar existentielle surtout lorsque le protagoniste principal devient le personnage de sa propre existence faisant de sa vie une fiction afin de satisfaire justement à l'image pourtant tronquée qu'il donne à voir. Loin d'être toujours très subtil dans sa démonstration Blonde est un film qui met souvent en relief à travers de nombreuses scènes cette dualité entre Norma Jeane et Marilyn, comme le combat de deux personnages dans un même corps ne cessant de se vampiriser, s'affronter, se correspondre et se détester. Il y-a par exemple cette scène assez magnifique durant laquelle le maquilleur de l'actrice vient alors qu'elle est en pleine dépression tenter de faire ressurgir Marilyn sur le visage en larmes de Norma Jeane. Une sorte de résurrection , d'illusion, de rêve de façade, d'une politesse du désespoir fardée sous le sourire d'une bouche glamour. Toute cette dualité, même si encore une fois ce n'est pas toujours très subtil, est absolument passionnante dans le film de Andrew Dominik d'autant plus que l'excellente et sublime comédienne Ana De Armas ne cesse de jongler entre les émotions profondes et la contenance du glamour que lui impose le star system hollywoodien. Qui sait vraiment qui était Marilyn lorsque pour elle même c'était partiellement une énigme ; une pin-up, un sex-symbol, une blonde idiote, une actrice, une jeune femme perdue, une starlette qui a du coucher pour réussir, une dépressive, une star prodigieusement intelligente , une couverture de magazine, un modèle pour les femmes, un objet de fantasme pour les hommes ?? La force de Blonde est peut être aussi de faire que le film nous renvoie toutes ces images à la figure comme symbole d'une réalité qui est celle d'une femme totalement dépossédée de ce qu'elle est profondément. Le film s'enfonce alors doucement dans une sorte de cauchemar labyrinthique proche de David Lynch avec des séquences profondément perturbantes et effrayantes comme l'avant première de Certains l'aiment Chaud que l'on vit comme un long trip un peu glauque sous acides. Blonde est un film que j'aime car il perturbe et il interroge sur la notion même de célébrité, sur l'image et sur l'appropriation par le regard des autres d'une vie et presque d'une âme toute entière. Parce que son actrice est fabuleuse de bout en bout et que le film regorge de moments émouvants, perturbants, magiques, délicats et fascinants, Blonde mérite incontestablement qu'on lui donne une chance à minima pour être jugé pour ce qu'il est et non pour la vision fantasmé que l'on porte intimement de Marilyn Monroe. Le film comporte de nombreuses séquences vraiment puissantes et marquantes comme la tendre rencontre entre Arthur Miller et Marilyn ou l'hallucinante séquence nocturne de l'avortement digne d'un pur film d'horreur.
Mais attention Blonde est bien loin d'être un film parfait et si il est parfois d'une authentique maestria visuelle et thématique il sombre aussi parfois dans une lourdeur et même dans une vulgarité qui ne donne plus envie de le défendre avec la même conviction. Même si j'adore toute la dualité schizophrène du personnage elle est parfois appuyée à gros sabots tout comme certaines thématique tellement surlignées en gras qu'elles en deviennent à la longue assez insupportables. Si en terminant Blonde vous n'avez pas compris que le personnage ne cesse de courir après l'amour d'un père absent et un désir de maternité contrariée c'est vraiment que vous avez regardez un autre, peut être La Vengeance d'une Blonde, mais en tout cas pas le film de Andrew Dominik. Dans une volonté de casser le mythe, de gratter jusqu'au sang le vernis du glamour le film s'égare parfois aussi sur des plans et des images qui n'ont strictement aucune utilité dans ce que raconte profondément le film.
A t-on vraiment besoin de voir la bite du producteur qui viole Marilyn , avait on besoin de ces plans subjectifs de l'intérieur de l'entre jambe de la comédienne lors des scènes d'avortements, avait on besoin de ces images de fœtus parlant et culpabilisant le personnage, avait on besoin de cette vue subjective pour que Monroe nous vomisse sur la tronche.... Même si je souscris partiellement à l’écorcement de cette vision romantique, secrète et super glamour de la relation Kennedy/ Monroe symbolisée souvent par le célèbre Happy birthday to you mister president, on va dire que le réalisateur n'y va pas de main morte en montrant Marilyn qui branle et fait une fellation à un Kennedy avachi sur son lit tout en écoutant au téléphone un conseiller lui dire que des femmes commencent à menacer de parler de ses attouchements, le tout avec des plans limites parodiques sur une télévision montrant une fusée et un canon qui se dresse. On pouvait clairement déconstruire le mythe d'une manière moins vulgaire, idiote et frontale.
Parfois sublime et parfois grotesque , Blonde est un film qui a au moins le mérite de ne pas être un biopic en forme de consensuel robinet d’eau tiède. Il serait dommage de jeter aux orties cette vision du destin chaotique de la célèbre comédienne en forme de long cauchemar existentielle et qui se double d'une profonde critique de la nocivité de la célébrité sous un quelconque prétexte idéologique à la mode ou une vision sainte et sacrée de l’icône car c'est cette vision lisse et fanatique d'une image elle même qui aura en partie conduit Norma Jeane vers l'autodestruction. Alors oui j'aime ce Blonde, 007/10 (forcément). Et je terminerai en citant le magnifique texte de la chanson Les Adieux d'un Sex-Symbol de Starmania qui convient si merveilleusement bien au film. :
"Vous ne voyez que la surface de ce monde en Technicolor
Vous qui rêviez d'être à ma place , venez voir l'envers du décor (...)
Je suis une image divine qu'on adore et qu'on adule
Une image de magazine sur qui on éjacule (…)
Ce n’était qu'un feu de paille que tout ce show business
Dessous le strass , y-avait le stress
Y-avait ma jeunesse
Je vous aime et je vous embrasse , je n'ai été qu'un météor
Voulez vous voir la mort en face ?
Elle s'habille en Technicolor"