Bloody Mama
6.1
Bloody Mama

Film de Roger Corman (1970)

Suite au triomphe commercial du Bonnie & Clyde d'Arthur Penn, Roger Corman, fieffé opportuniste, se met en tête de réaliser un long-métrage indépendant pouvant lui rapporter gros. Avec à peine 400 000$ de budget alloués par American International Pictures, le cinéaste engage Robert Thom pour adapter à sa manière (c'est-à-dire très librement) le parcours criminel de Ma Barker et de ses 4 fils qui ont défrayé la chronique durant les années 1930. Le film fera 1 500 000$ de bénéfice au bout de quelques semaines.

Née sous le nom d'Arizona Donnie Clark en 1873, celle qui devint bien plus tard une icône de la pop culture fut abattue en 1935 lors d'un siège ordonné par J. Edgar Hoover et tendu par le FBI, où pas moins de 1500 cartouches auraient été tirées par les fédéraux. Spécialisé dans les braquages de banques, les kidnappings et les meurtres, le gang de Ma Barker, à l'image de Bonnie Parker, de Clyde Barrow ou encore de John Dillinger, reste une figure marquante et fantasmatique du banditisme. Malgré le réel bain de sang final, pièces de théâtre, films, romans, bandes dessinées (dont Ma Dalton de Goscinny et Morris) et autres chansons se voient depuis produits pour célébrer ces affreux jojos qui n'avaient pourtant rien d'héroïque. La fascination pour celles et ceux qui franchissent la "limite" en passant à l'acte perdure ainsi depuis des siècles.

Dans Bloody Mama, l'histoire de Ma Barker est totalement revisitée. Débutant par un flash-back où l'on comprend qu'Arizona, enfant, est fréquemment violée par son père et ses frères, le public conçoit avec bienveillance que la jeune femme a une revanche à prendre sur la vie. C'est donc au sein d'un itinéraire sanglant et dépravé durant la grande dépression des années 1930 que Corman va plonger ses spectateurs. Plus qu'aux exploits de la famille de gangsters, le réalisateur s'attache avant tout à la psychologie totalement névrotique des membres du gang et qu'aucune œuvre précédente n'avait osé aborder par le passé. Car depuis 1940, ce ne sont pas moins de 3 longs-métrages (Les Bas-Fonds De Chicago de James P. Hogan, La Police Fédérale Enquête de Mervyn Leroy et Ma Barker Et Son Gang de Bill Karn) qui se sont inspirés de la famille Barker (ainsi qu'un épisode des Incorruptibles où c'est Eliott Ness, incarné par Robert Stack, qui stoppe les méfaits du gang familial). De ce fait, aucune œuvre cinématographique ou télévisuelle n'a jamais narré la véritable histoire de Ma Barker et de ses fils.

Interprétée par Shelley Winters, oscarisée à deux reprises mais au creux de la vague à cette époque, Ma Barker exerce ici une domination absolue sur les hommes. Abandonnant son mari, elle dirige ses fils à la baguette et couche même avec l'un d'eux. Chacun des 4 garçons est par ailleurs un cas particulier : un sadique dominant, un homosexuel, un timide très réservé et un junkie. Si le premier est incarné par Don Stroud, c'est le tout jeune Robert De Niro qui se glisse dans la peau du dernier et qui trouve une fin tragique après avoir violé une adolescente. Un casting masculin sélectionné avec soin par Shelley Winters herself et issu de l'actor's studio que l'actrice affectionne tant. Dressant des scènes plus vraies que nature, donc, comme cette violente gifle assénée par Stroud à Winters qui brisa le nez de l'actrice. Arrêt des prises de vue et méli-mélo avec les assurances pour un film au tournage non-déclaré. Corman en a vu d'autres, il filme à l'arrache ce qu'il peut (et ça se voit) pour assouvir son désir, voire son plaisir, d'urgence. Les cadrages partent ainsi souvent en vrille, pas toujours sauvés par un montage relativement dissymétrique où résulte une forme faisant parfois peine à voir.

Avec cette satire sociale saupoudrée d'humour noir, c'est avant tout le fond qui crève l'écran. Perpétuellement baigné dans un climat insensé de violence et de perversions sexuelles et morales, Bloody Mama est l'un de ces films indépendants qui, sans prévenir, font basculer un genre ultra codifié dans une nouvelle dimension, une nouvelle époque. Mais il bénéficie surtout, grâce à Shelley Winters, de l'incarnation d'un personnage féminin haut en couleur qui représente une forme paroxystique du matriarcat américain. Rien que pour ça, cela vaut le coup de se pencher dessus.


candygirl_
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le 28 févr. 2025

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