Woody n'a pas encore envie de retourner à New York, ou du moins pas totalement. Pour cette cuvée Allen 2013, direction la baie de San Francisco pour y suivre la destinée d'une Cate Blanchett au bord de la crise de nerfs dans Blue Jasmine. On connait tous la filmographie de Woody Allen, capable de nous pondre un grand film avant d'enchaîner sur une petite oeuvre modeste et sans grand relief. On ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre, à voir si ce cru annuel aguiche nos papilles ou nous laisse un arrière-goût de travail bâclé.
On ouvre sur le plan très "asylumien" d'un avion, brrrrrrh que c'était moche (bon je chipote, ça dure 5 secondes). Puis on enchaîne sur l'introduction du personnage de Cate Blanchett, femme de la "haute" qui ne cesse jamais de jacasser sur sa formidable vie... Qu'elle a perdu très subitement. Et Blue Jasmine c'est ça: l'histoire d'une femme qui est passée d'une vie luxueuse à rien du tout, dans l'obligation de se reconstruire complètement pour ne pas plonger. Un ton plutôt dramatique qui tranche avec les derniers films du célèbre réalisateur new-yorkais. Et encore une fois, Allen brille dans l'écriture de ses personnages.
Jasmine débarque ainsi chez sa soeur qui a toujours vécu modestement. Ce fossé qui sépare les deux soeurs, et plus globalement cette confrontation bourgeoisie/prolétariat, constitue la structure du film. Woody Allen arrive à créer un humour subtil sur cette opposition le temps d'un film et ce en évitant toute moquerie gratuite, bien au contraire. Que ce soit la soeur, son nouveau mec et son ex, il y a toujours de la dignité dans leurs comportements, les rendant terriblement attachants malgré leurs innombrables défauts. Après ce n'est pas toujours très fin, mais ça a le mérite de ne pas tomber dans une dualité sommaire et lourdingue.
Mais le personnage prenant le plus d'importance est bien entendu Jasmine. Cette femme semble frôler l'hystérie à chaque scène, et pourtant Allen parvient à développer de l'empathie pour ce personnage. On la sent perdue, à bout de souffle et pourtant pleine de volonté. Mais son passé dont elle est nostalgique sera le principal frein à sa reconstruction, la condamnant à une chute sévère.
Une nouvelle fois, comme souvent chez Allen, les dialogues sont parfaitement ciselés et l'interprétation de grande qualité. Je pense ne pas être le premier à le dire, mais Cate Blanchett est tout bonnement impressionnante dans son rôle. Toujours dans le ton juste, elle semble pouvoir basculer subitement dans la folie à tout moment et le tout sans surjouer. Les seconds rôles sont solidement interprétés également, j'aime particulièrement les deux amours de la soeur de Jasmine, deux balourds très humains dans le fond.
Visuellement le film est un régal. Un découpage propre et une photographie soignée font de Blue Jasmine un film très agréable à l'oeil. D'autant plus que la narration alterne les scènes passées/présentes avec une fluidité exemplaire. Celles-ci se répondent, laissant la part belle aux surprises et donnant aux personnages secondaires beaucoup plus d'épaisseur au fur et à mesure que l'intrigue avance.
Après je reproche quand même au film son rythme inégal, mettant quand même un certain temps à se mettre en place. Mais une fois les personnages secondaires introduits c'est un petit régal. Plutôt cynique, le film se révèle assez drôle finalement dans sa peinture d'une déchéance totale. Sans vouloir trop en raconter, la scène finale est particulièrement terrible et bien déprimante. On n'atteint pas des sommets de cruauté comme dans Match Point par exemple, mais on se retrouve assez surpris finalement d'un tel désespoir.
Blue Jasmine apparaît sous un jour plus dramatique que les derniers films de Woody Allen beaucoup plus légers. Si le film n'évite pas certaines maladresses et manque un peu de substance, il reste agréable à voir grâce à ses personnages notamment et son cynisme concernant les relations humaines. Certainement pas une oeuvre majeure chez Woody Allen, mais ça reste un film surprenant, pessimiste dans le fond mais vraiment plaisant.