Blue Spring
7.1
Blue Spring

Film de Toshiaki Toyoda (2002)

Jeunesse prise dans un tourbillon identitaire

Sorti entre Kids return (1996) et Noriko's dinner table (2002) traitant tous deux du même sujet, Blue Spring est peut-être la référence ultime du teenage-movie crépusculaire japonais. Oeuvre courte mais dense, elle capte avec brio la tension explosive émanant d'un groupe de jeunes amis totalement fuckés par la vie. Un seul plan au ralenti suffit pour les personnifier, marchant au rythme d'un son puissant de riffs de guitare d'un groupe punk-rock japonais balançant des paroles décalées au premier abord, mais recèlant une poésie noire absolue à leur image. Un film porté par un casting de jeunes d'acteurs qui incarnent leurs personnages avec beaucoup d'intensité et de subtilité.


A coup d'ellipses maîtrisées, le film nous fait suivre le parcours d'une bande de lycéens en situation d'échec, qui passent leur temps à flâner au-dehors des cours. Ce que nous transmet cette oeuvre simple sur le papier, c'est ce sentiment d'auto-destruction qui les anime : rejetés par la société (sans en préciser la raison précise), ils inventent leurs propres règles, par exemple en transformant un jeu d'enfant en dangereuse lutte de pouvoir sur le toit de leur lycée, afin de savoir qui est le chef. Une perspective aussi nihiliste que le refus de certains de se conformer à un destin tout tracé pour eux, ou de réinventer ces principes au gré de leurs violentes pulsions.


Oeuvre déjà sacrément puissante par son propos, elle l'est aussi dans sa forme. Sans esbroufe visuelle, le réalisateur Toshiaki Toyoda est capable d'images frontales jamais gratuites qui jouent beaucoup sur la suggestion, évitant ainsi toute complaisance en préférant créer une atmosphère anxiogène (comme son comparse Kitano) qui nous retourne l'estomac. Il n'oublie pas de placer quelques plans poétiques et symboliques bien sentis sur cette croissance juvénile qui aurait bien besoin d'un autre engrais que des cigarettes (étrangement, c'est un nabot qui incarne ce trait de sagesse, comme pour nous signifier qu'être grand ne se résume pas à son apparence extérieure), où la violence répond paradoxalement à une certaine façon d'éclore en tant qu'individu.


Blue Spring est une oeuvre à plusieurs facettes qui, loin de se résumer à un affrontement entre jeunes, nous révèle leurs contradictions internes. Ainsi, Kujo, le personnage principal, devient chef par défaut et n'assume jamais ce statut, au contraire de son ami qui va jouer par la suite avec les extrêmes. Derrière ce mal-être existentiel, se tapit donc une réflexion sur l'identité et le destin que la société nous impose, sur les rôles qu'on est censé incarner pour simplement devenir quelqu'un. Des cases préconçues violemment balayées par ces individus perdus dans cette spirale de violence qui finit par se retourner contre eux.

Créée

le 18 avr. 2017

Critique lue 604 fois

4 j'aime

Dun

Écrit par

Critique lue 604 fois

4

D'autres avis sur Blue Spring

Blue Spring
Velvetman
7

Blue Spring

Blue Spring est une œuvre qui fait parler les ombres où l’existence adolescente semble vouée à une autodestruction qui ne tient qu’à un cheveu. Blue Spring est la chronique d’une bonne de paumés...

le 6 mai 2014

13 j'aime

Blue Spring
oso
9

Quand l'esprit fou se moque du garde corps

Blue Spring est un souvenir particulier pour moi puisque c’est avec lui que j’ai découvert Toshiaki Toyoda, qui est, avec Sion Sono, le réalisateur japonais des années 2000 qui m’a le plus...

Par

le 2 janv. 2015

10 j'aime

Blue Spring
IllitchD
5

Critique de Blue Spring par IllitchD

Blue Spring est un film qui interpelle avec une ambiance particulière qui divisera, c’est certain. Il n’est pas toujours facile d’accrocher à la mise en scène, aux intrigues ou encore à la musique...

le 18 oct. 2012

7 j'aime

11

Du même critique

Le Sabre
Arnaud_Mercadie
9

De la perfection de l'art samouraï

Là où Tuer se distinguait par son esthétique élégante et toute en retenue, conforme à une certaine imagerie traditionnelle du Japon médiéval, Le sabre frappe par sa simplicité et son épure formelle...

Par

le 27 avr. 2017

10 j'aime

Qui sera le boss à Hiroshima ?
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Qui sera le boss à Hiroshima ? par Dun

C'est avec ce second épisode que je prends enfin la mesure de cette ambitieuse saga feuilletonesque sur les yakuza, qui mériterait plusieurs visions pour l'apprécier totalement. Alors que j'étais en...

Par

le 15 avr. 2017

8 j'aime

Mind Game
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Mind Game par Dun

J'avoue avoir repoussé la séance à cause de l'aspect expérimental de cet animé de peur de me retrouver dans du sous Lynch un peu trop obscur (non que je déteste l'idée, mais ça peut rapidement tomber...

Par

le 5 mars 2019

8 j'aime