Ils se marièrent et vécurent...ah non.
Blue Valentine.
Le nom annonce la couleur (sans mauvais jeu de mots) (enfin si mais ce n'est pas fait exprès). Pour ceux qui ont raté les cours d'anglais du collège et qui n'ont jamais vu ni de film ou série anglophone, petit rappel :
- « blue » : adjectif signifiant « de couleur bleue ». Aussi utilisé dans le sens de « triste », « cafardeux ».
- « Valentine» : (non, ce n'est pas le nom du personnage principal féminin) l'amoureux ou l'amoureuse célébré à la St Valentin.
On s'attend donc à ce qu'il s'agisse d'un amour qui a le cafard. Tout est dit.
Le film s'ouvre sur une scène lors de laquelle le spectateur fait la connaissance d'un couple, Cindy et Dean, ainsi que de leur fille, âgée de 5-6 ans. Cindy est infirmière, travaille dur et ça se voit : elle a le visage sévère et fatiguée. Dean est détendu, porte des lunettes de soleil, a déjà la clope au bec, et s'amuse avec sa fille à la table du petit-déjeuner. Ce qui ne manque pas d'agacer Cindy qui est déjà en retard.
On nous dresse là le tableau typique de la famille qui s'ennuie : un père-enfant et une mère qui se retrouve à gérer seul le foyer. Un tableau triste classique d'une famille en crise. Sauf que.
Blue Valentine n'est pas un enchaînement de clichés habituels sur le couple tels que « c'était mieux quand on était jeunes et amoureux » ou autres « qu'est-ce que la vie a usé notre couple ! ». Ici, pas de fautif / fautive, pas de salaud ni de « desesperate housewife ».
Le réalisateur alterne entre les scènes situées dans le présent et les flashbacks des débuts de leur relation, montrant ainsi les fondations de leur couple et comment ils en sont arrivés là. Le spectateur comprend, au fur et à mesure qu'il découvre les raisons qui ont poussé les deux tourtereaux à se marier, que le problème était bien là dès le départ. Qu'il ne s'agit pas d'une dégradation dû au temps qui passe mais bien au fondement de leur relation.
Dans les premiers flashbacks, le spectateur appréciera les « jolis » moments du début où l'un compte fleurette à l'une et comment l'une se laisse séduire. Ces scènes ne manquent pas de charme et constituent des respirations en rupture avec la tension latente des scènes du présent. Jusqu'au moment où, plus le spectateur voit de scènes situées dans le présent, plus les scènes de flashbacks prennent une dimension de tristesse et de désespoir.
Oui, cette scène de la bande-annonce qui traduisait une certaine poésie pleine de spontanéité et de légèreté, cette scène où elle fait des claquettes et lui chante en jouant du ukulélé. Celle qui donne envie de voir le film, hein, soyons clairs ! Eh bien, cette scène devient tout simplement déprimante lorsqu'elle intervient dans le film, au vu de ce que ces personnages sont finalement devenus. Non pas parce qu'on se dit « Dieu que c'est triste de voir ce joli couple plein de fantaisie devenir un couple si triste et lassé de la vie ». Non. Mais parce qu'on se rend compte que ce couple si triste, cette jeune fille à tendance dure et distante et ce jeune homme ultra-sensible et qui part très vite dans l'extrême, tous ces ingrédients étaient déjà là dès le départ et ne sont qu'amplifiés dans le présent.
Ces amoureux sont trop dévorés par le désir de liberté (ils se rencontrent à l'adolescence et sont donc titillés par la rébellion), l'insouciance et l'appétit sexuel pour se rendre compte qu'ils n'ont rien à faire ensemble. Et c'est bien ce qui est le plus effrayant dans ce film. Une réplique du personnage de Michelle Williams résume très bien cette idée : « How are you supposed to trust your feelings when they keep changing all the time ? ». Comment faire la différence entre de l'amour compatible et de l'amour qui repose sur l'idée qu'on se fait de l'autre ? Comment être sûr que les sentiments seront constants et dureront ? Toute la prise de risque que constitue un engagement amoureux est là résumé.
C'est en cela que le film est surprenant de justesse.
Entre les scènes du passé et les scènes du présent, le spectateur n'a pas le droit aux techniques grossières employées habituellement pour convaincre que cela a beau être les mêmes acteurs au même âge, les personnages, eux, ont vieilli. La transformation entre les deux époques reste tout à fait crédible, pas de changement de coiffure évident ou de look, etc. Dean s'est légèrement empâté, j'ai bien dit légèrement, a la calvitie qui pousse, fume comme un pompier et prend beaucoup moins soin de son apparence. Tout pareil pour Cindy, légèrement plus bouffie, et les traits plus marqués. Le vieillissement des corps est tout à fait crédible et la seule différence de look commune aux deux personnages réside dans le caractère négligé et désabusé qui transparaît jusque dans leur gestuelle. Un grand bravo à Michelle Williams (qui d'habitude ne m'inspire pas grand-chose) et à Ryan Gosling qui excellent dans leur jeu de monsieur et madame tout le monde coincé dans leur couple.
Le réalisateur montre aussi avec beaucoup de justesse la façon dont parfois les relations peuvent tourner : l'espèce de spirale infernale qui crée une tension latente et les deux personnages ne peuvent faire autrement que d'être insupportables et gratuitement cruels l'un avec l'autre. Alors même qu'ils s'en rendent compte eux-mêmes. Les personnages ne peuvent plus se supporter et s'empêchent de vivre. Cindy méprise son mari et semble vouloir lui faire payer la situation d'épuisement émotionnel dans laquelle elle se trouve. Elle n'a de cesse de le pousser à « faire quelque chose de sa vie », a besoin de l'admirer, qu'il ait de l'ambition. Dean est plutôt passif et du genre à se laisser vivre et, loin de reprocher à Cindy le sacrifice qu'il a fait, est heureux d'avoir la liberté de s'occuper de leur fille et continue à aimer sa femme telle qu'elle est, sans avoir besoin qu'elle change quoi que ce soit. Mais toujours cette tendance exploser à la moindre émotion (pas vraiment arrangée par sa consommation importante d'alcool)
Ils se bouffent, et elle étouffe. Il y a une nette différence entre les scènes du passé, souvent tournées en extérieur, et les scènes du présent, très oppressantes : les personnages sont filmés de près, toujours en intérieur (dans leur maison, dans leur voiture, dans un môtel confiné). Même le sexe est filmé de façon claustrophobe.
Blue Valentine est effectivement très « bleu ». On est loin du petit film indépendant traitant de l'amour de façon réaliste mais assaisonnant le tout de poésie et de légèreté. Encore plus loin du conte de fée de Princesse rencontrant son Prince Charmant ; on serait plutôt dans l'après-rencontre, une fois que le mioche est né et que plus rien n'est charmant.
Le réalisateur choisit de dépeindre une vision du couple tout à fait désespérante, soyons clairs, et n'offre à son spectateur aucun signe d'espoir possible auquel se raccrocher. Mais c'est justement grâce à la dextérité du réalisateur à décrire des sentiments tout à fait banals avec subtilité, qu'un spectateur sera touché. Surtout s'il est en plein questionnement sur le couple, il en ressortira alors tout à fait déprimé. Amis sceptiques du couple, vous êtes prévenus !