Voici venus les Barbapapas !
On me propose d'assister à l'avant-première d'un film ayant pour thème un professeur qui fait un remplacement dans un lycée dur. Forcément, première pensée : "Euh...mais on l'a pas déjà vu quinze fois ce film ?".
Je farfouille un peu et il s'avère que le prof est joué par Adrien Brody, il y a même Lucy Liu que ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vue, et le tout réalisé par Tony Kaye. Moi non plus ça ne me dit rien, mais j'ai à nouveau farfouillé (IMDB est mon ami) et figurez-vous qu'il s'agit du réalisateur de American History X ! Donc a priori, pas du nianian à la Michelle Pfeiffer sur fond de Coolio, contrairement à ce que laisse transparaître la bande-annonce.
Le film débute lors de l'affectation de ce professeur remplaçant, qui a pour règle de ne jamais s'attacher (oui, ne cherchez plus l'explication du titre) ni à l'environnement ni aux élèves du lycée auquel il est affecté.
La structure du film est triple : la majorité du film raconte cette période de replacement. De façon ponctuelle, on peut voir apparaître à l'écran un Adrien Brody du présent (il a les cheveux plus longs, signe du temps qui est passé au cinéma) qui analyse cette période de sa vie ; il a l'air d'être en thérapie. Et enfin, surgissent parfois à l'écran des images façon sépia, bobine 8mm d'un petit garçon et d'une femme, sûrement sa maman. Dans ces scènes, pas de dialogues – si tant est qu'on puisse parler de scènes. Il s'agit plutôt de sorte de flashes brefs, issus, comme on le comprend rapidement, de l'enfance du personnage principal.
Le réalisateur s'intéresse aux failles du système éducatif américain (entre autres) : manque de moyen, manque de considération pour les professeurs, manque de repères des élèves et le manque de communication en général.
Les membres du corps éducatif sont présentés sous un jour tout sauf glamour. On a de tout, du dépressif, de la femme au bord de la crise de nerf, de la jeune femme encore pleine d'illusions et politiquement correct (Christina Hendricks, méconnaissable dans un rôle qui ne met pas en avant son physique), de la prof en fin de carrière qui lutte pour exercer son métier, etc.
Côté élève, il n'y a pas de quoi se réjouir non plus, et ce qui ressort dans les scènes avec les élèves, c'est qu'il est aujourd'hui compliqué d'avoir une relation sincère entre profs et élèves. Il est difficile d'avoir une quelconque emprise sur les « éléments difficiles » qui sont devenus de véritables monstres d'égocentrisme et de cruauté (ce sont des ados me direz-vous, mais quand même...), complètement déconnectés de la réalité.
Ce genre de profil a toujours existé, sous une forme ou une autre.
Sauf que.
Le réalisateur met ici en évidence la grande différence entre hier et aujourd'hui : "l'absentéisme" des parents.
Dans une des scènes « chez le psy », le personnage principal tient un discours sur les parents qui résume bien cette théorie du réalisateur, selon laquelle l'essentiel du problème de l'éducation des jeunes aujourd'hui réside dans cette absence. En substance : on fait bien passer toute une batterie de tests aux personnes désireuses d'adopter pour déterminer s'ils seront de bons parents, il devrait en être de même avec les personnes désireuses de procréer.
L'idée est poussée à l'extrême, bien entendu, mais on est à même de se poser la question. Qui n'a pas assisté à des scènes entre un enfant et ses parents qui font franchement désespérer (dites, y a pas que moi, hein ?).
Cette question que soulève le réalisateur interpelle et il l'explore au travers de ce personnage solitaire qui a souffert de l'absence de sa mère et de toute forme de famille.
Il va faire la rencontre d'une petite de 14 ans, livrée à elle-même et qui fait le trottoir ; il la prendra sous son aile pour tenter de lui donner un équilibre quelconque et bien sûr elle va lui apporter tout autant qu'il lui apportera.
Il tentera d'aider une élève mal dans peau et marginalisée car créative, mais n'y parviendra pas en raison de cette paranoïa ambiante autour de la pédophilie. (Cette scène où elle est en larmes et crève de ne recevoir de tendresse de personne mais qu'il se refuse à la prendre dans ses bras par peur de quelque accusation est très criante de vérité).
Ce lycée déserté lors d'une réunion parent-prof.
Cette mère qui défend sa fille renvoyée pour avoir menacé une prof de la faire tabasser.
Ce prof qui hurle, tous les jours, en pleine cour du lycée et dans l'indifférence générale, et qui rentre le soir chez lui, toujours dans l'indifférence même de sa famille.
Tout ce contexte mène le spectateur à ressentir une sensation d'impuissance totale. En résumé : bonjour la déprime.
Un bémol cependant à ce film très intelligent : la réalisation extrêmement maniérée, façon « reportage », incapable de produire un plan fixe, qui filme toujours ses personnages en gros plan, sans parler de ces fameuses scènes sépia qui sautent sans cesse sur la pellicule et agressent le spectateur. Tout cela donne plus mal à la tête qu'autre chose.
Et le plus dommage dans tout cela, c'est que ces scènes de flashbacks fournissent, au final, une clé sur le personnage du remplaçant. Au lieu de laisser place à la subtilité, on a le droit à une scène « révélation » où le personne explicite tout. Donc au final, le réalisateur nous fait subir ces images de flashback sans raison aucune.
Au-delà de ça, les acteurs sont très bien dirigés, Adrien Brody est excellent avec ses sourcils en circonflexes.
De plus, cette réalisation migraineuse a tout de même eu le mérite de tout de suite me happer dans le film (alors qu'à peine assise dans la salle, mon ventre s'est mis à gargouiller) (détail qui a son importance quand on connaît mon incapacité à me concentrer quand mon estomac crie famine).
Au final, une réflexion sur la transmission et l'importance d'être entouré en grandissant et, quoique parfois désespérante, porteuse d'un message d'espoir. Pas forcément ce qui est le plus marquant dans le film, mais au moins le réalisateur a-t-il essayé de ne pas simplement abattre le spectateur, surtout de le faire réfléchir.