« Ça faisait quelque temps que j'allais de galère en galère. Viré du tournage d'un film de série Z, je rejoignais, moi aussi, le club fréquenté des « artistes au chômage ». Après avoir surpris ma femme en plein adultère, j'étais à la rue : il me restait plus que l'alcool pour oublier. Heureusement que Sam, une vague rencontre, m'a prêté une superbe villa, avec vue sur Los Angeles et... une voisine exhibitionniste. Enfin, la chance avait l'air de tourner ».

Brian De Palma était on le sait le cinéfils d' Alfred Hitchcock. Il n'y a pas si longtemps les psychanalystes prétendaient que pour devenir un homme un fils devait tuer son père. Si possible au sens figuré et sans effusion de sang. Après une longue période d'hommage hitchcockien, Brian De Palma entreprend donc de démystifier l’œuvre du maître et en particulier Sueurs Froides et Fenêtre sur cour. Constamment à la limite de la parodie le metteur en scène nous éclaire crûment sur les artifices invraisemblables de narration de celui qui disait:« Quand je vois apparaître la hideuse figure de la vraisemblance, je lui tords le cou ». Voici donc deux exemples d'artifices de narration qui dépassent ceux du maître au moins dans un domaine: celui de l'humour.

Le contexte de la réapparition de Kim Novak par le plus grand des hasards était évoqué en douce comme sans en avoir l'air dans Sueurs Froides même si on s'y laissait prendre, captivé par l'histoire. De Palma ose plus et même surdose et de ce fait donne presque l'impression de nous prendre pour des buses. Le double de la strip-teaseuse surgit ici à l'improviste au hasard de la vision d'une cassette vidéo de film X. Un cas unique à ma connaissance où la pornographie a permis de remonter la piste d'une enquête. Et premier coup asséné au maître Hitchcock.

Si on poursuit, on se souvient qu' Hitchcock n'avait pas trop insisté dans Sueurs Froides sur les causes de la machination qui menait à son histoire compliquée de double. De même dans Fenêtre sur Cour James Stewart remarquait par le plus grand des hasards les aller-retour suspects de son voisin. De Palma, lui, extrait son mobile au burin de chez Merlin. Il nous sert un prétexte statistiquement impossible: un assassin veut à tout prix avoir un témoin pour son crime. Obsédé par cette idée, l'assassin se déplace dans un cours de théâtre pour faire son casting et prend la peine de procurer à son témoin une chambre avec vue sur la future scène de crime, avec lunette de vue en prime. Pour être sûr que le témoin soit vraiment en train d'observer le crime à l'heure dite il va jusqu'à payer une strip-teaseuse à laquelle il demande de faire son spectacle tous les soirs à l'heure prévue pour le crime. Cette séquence est au carrefour de la parodie, du voyeurisme et de l'auto-dérision. C'est aussi un grand moment d'humour et une nouvelle grande claque à Hitchcock.

Libéré du pseudo-réalisme du cinéma de papa, De Palma peut faire sortir de sa réserve un Indien terrifiant et créer un effet de surprise et d'horreur digne du giallo qui transperce littéralement l'écran à la perceuse à mèche longue portée. Il y aura ensuite la séquence du blocage psychologique du héros lors de l'agression de l'Indien dans le passage souterrain qui répond à la séquence des escaliers dans le clocher de Sueurs Froides. La claustrophobie de l'acteur répond au vertige de James Stewart, l'horizontal répond au vertical.

Ces concours de circonstance, ces masques et autres artifices de scénario trop visibles participent du baroque du cinéma de De Palma. L'éblouissant voyeurisme et l'horreur sont amplifiés à la longue-vue. Pour la surenchère pour contrer la pudeur hitchcockienne je mentionnerai également le casting érotico-soft des personnages féminins. Les physiques de la blonde Mélanie Griffiths et de sa doublure Déborah Shelton sont bien mis en valeur, c'est peu de le dire. L'acteur masculin principal semble lui ressentir tout le poids de la malchance qui le poursuit mais c'est surtout la caméra, personnage à part entière, qui a le beau rôle.

Le crime accompli, De Palma cherchera à le faire oublier. On constatera que la période d'hommage à l’œuvre d'Hitchcock s'arrête net après Body Double. Tout au plus on constatera un petit croche-pied à Eisenstein dans les escaliers à l'occasion des Incorruptibles mais rien de bien méchant comparé à ce crime qui est presque parfait.

Pour moi un pur chef d’œuvre ! [critique écrite en 2022] (et envoyée par Minitel)

Zolo31
9
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le 8 nov. 2024

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