Un cas cinématographique très intéressant aujourd’hui, puisqu'il s'agit d'un projet de commande confié à Abel Ferarra : le remake de Body Snatcher. Ce film est donc un remake, qui s’inspire de deux films appelés L’invasion des profanateurs de sépultures. Il y a la version originale des années 50, l’autre est le remake de 1976. C’est souvent cette version qui est retenue, pour son ambition, son magnifique casting (Goldblum, Sutherland…) et son final marquant. Le remake de Ferarra est souvent laissé de côté, et pour cause, il ne joue pas dans la même cour. Alors que ses aînés donnent dans la SF parano et le thriller, se préoccupant de l’ambiance plus que du rythme en réduisant les effets spéciaux au minimum, Abel Ferarra attaque son sujet comme celui d’une série B, en prenant des ingrédients classiques pour faire monter la sauce à sa façon, et d’une certaine manière devenir le meilleur film de la saga.


Le moins qu’on puisse dire, c’est que contrairement à ses modèles qui voyaient les choses en grand en filmant carrément des foules au regard inexpressif se déplaçant en ville, Body Snatcher rompt avec ces foules contaminées pour donner dans un huis clos tendu (la base militaire) et plus discret que les précédentes invasions. Usant d’une photographie orange et chaleureuse qui rompt une fois encore avec la froideur de ses prédécesseurs, Body Snatchers plante des personnages simples et identifiables assez facilement. Le père scientifique, la mère un peu froide (mais elle ne nous intéresse pas, et elle sera d’ailleurs l’une des premières transformées), la fille rebelle mais pas agaçante, et le petit frère. Alors que nos personnages arrivent, le processus de contamination de la population est déjà en cours. Ce qui permet à Abel de faire monter la sauce par l’intermédiaire de détails éphémères mais glaçant de conformisme. Le plus efficace doit être l’exercice de dessin des enfants, magnifique séquence où le malaise est effrayant d’efficacité, accompagné d’un carrousel grinçant des plus suggestifs.


L’intrigue se développe, plantant un personnage de jeune soldat dragueur, mais charismatique. Pour le coup, la séquence du jeu de doigts est une véritable prouesse, car en plus d’utiliser un truc très série B pour remplir les dialogues, il y a une véritable dimension de profondeur et de sincérité qui émane des personnages pendant cette séquence. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’amour surgit presque immédiatement après, tant la densité émotionnelle du moment est palpable. C’est alors que la paranoïa revient à la charge, jusqu’au déclenchement de la traque de notre famille, pourchassée véritablement par toute la ville. Rapidement, et avec une efficacité effrayante, Body Snatcher devient involontairement le meilleur rip off de The Thing. Reprenant à son compte ce sentiment de paranoïa et cette impossibilité de se fier aux autres, il exploite habilement ce doute omniprésent, et inversement, accentue considérablement la traque des survivants par l’intermédiaire de pièges visant à révéler les sentiments de nos protagonistes. Chaque dialogue avec un contaminé devient alors périlleux, à double tranchant.


En termes d’effets spéciaux, cet épisode est également celui qui filme le plus le processus de « copie » des humains. Oubliant complètement les fleurs des premiers films, les végétaux ont ici un design marécageux, étendant leurs racines vers les victimes endormies pour synthétiser un double à l’identique pompant l’essence de vie de son modèle humain. Des maquillages efficaces et vraiment de série B, qui viennent augmenter le capital sympathie du tout. Il est bon de noter qu’à l’exception de la chute finale d’un protagoniste de l’hélicoptère (effet qui a très mal vieilli, il faut le dire), aucun effet spécial n’a vieilli, et même après ces années, le film non plus n’a pas pris une ride (alors que l’original des années 50 et sa métaphore du communisme accusent le coup quand même (sans vraiment que ça lui nuise, mais le lien avec la réalité est coupé aujourd’hui)). Se montrant revanchard dans un épilogue inattendu (loin du pessimisme des originaux, ce remake se lance dans le combat avec la rage au cœur), Body Snatcher proteste une fois encore de ses intentions de s’émanciper, et grand bien lui en prend, puisqu’avec son dynamisme et son angle d’attaque tout à fait approprié, il nous délivre un divertissement efficace qu’on était tout à fait en droit d’attendre. Un petit miracle méconnu.

Voracinéphile
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le 15 déc. 2015

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