Déjà, on ne peut que saluer le choix du sujet ou plus exactement, celui du milieu qui accueille l'intrigue. L'univers du bodybuilding est assez exotique pour la plupart d'entre nous et Roschdy Zem a l'extrême intelligence d'y promener une caméra attentive, amicale, sans jugements de valeur, à hauteur d'épaule… et jeté! Dès l'introduction (un extrait d'une ITW de Schwarzy jeune se préparant à un concours), le ton est donné, celui d'une étrange passion, totale, qui s'inscrit spectaculairement dans les corps, mais qui prend possession de la vie entière des personnes qui s'y adonnent. On est impressionné par la minutie documentaire avec laquelle Roschdy Zem décrit le quotidien d'une bête de compétition, mais en même temps, on ne peut qu'être touchés par l'immense humanité qui se dégage dans ces portraits croisés.
Tout compte dans ce film : le casting est impeccable et la direction d'acteurs impressionnante. Il faut bien comprendre qu'une grosse partie de la distribution vient directement du monde du bobybuilding, mais que chacun joue son rôle avec justesse. On peut commencer par rigoler du personnage central du père, montagne de muscles taciturne, voire obtuse, quasi caricature, mais très rapidement, l'humanité du personnage se dévoile par petites touches sensibles, sans effet, sans surjeu, avec juste une immense sincérité.
On reste scotchés par la scène du monologue du père, du moment où il se livre à ce fils qu'il n'a pas vu grandir, mais qu'il va tenter d'aimer, malgré tout. C'est sobre, c'est dense, on sent la pudeur et la difficulté de quelqu'un qui n'est pas habitué à exprimer ses sentiments, qui ne se paie pas de mots. Et qui termine sa tirade en se déclarant fatigué d'avoir dû sortir toutes ces phrases.
L'autre force du film, c'est qu'il présente aussi cette classe moyenne provinciale qui est majoritaire et totalement invisible dans l'espace cinématographique, mais aussi médiatique au sens large, coincée entre les classes populaires en souffrance et les classes moyennes telles qu'elles sont fantasmées par la petite bourgeoise parisienne qui s'en croit représentative.
Ce sont donc des petits commerçants, des artisans, des petits employés, souvent endettés, avec un petit confort, mais toujours sur le fil du rasoir, plutôt invisibles, anonymes et nombreux.
Cette France-là est magnifiquement incarnée par toute une galerie de personnages consistants, à commencer par le toujours excellent Vincent Rottiers dans son rôle de jeune chien fou paumé qui se perd dans ses petites combines et sa fascination de l'argent facile qui achète tout… sauf l'essentiel. Les seconds rôles ne sont pas anecdotiques, ils soutiennent ce récit qui raconte également la construction d'une relation manquée entre un père et son fils.
Ni moraliste, ni condescendant comme c'est souvent le cas dans ce genre de cinéma-vérité, Roschdy Zem se place lui-même au cœur de cet univers et de cette histoire qu'il vit et partage avec les autres personnages. Il porte un regard sensible sur toute cette petite humanité qui débat comme elle peut pour faire ce qu'elle pense être juste et mener décemment sa petite vie.
Assurément la promesse d'un cinéaste important à suivre.