Le syndrome de la rétrocession
A mesure que l'échéance de la rétrocession se rapprochait, le cinéma de Hong Kong se mit à aborder le sujet de manière de plus en plus frontale. Cela donnera entre autre le polar dépressif The Log pour ne retenir qu'un des meilleurs métrages s'étant frotté au sujet. Pour autant, le résultat ne sera pas forcément toujours d'une noirceur extrême. Car la comédie a également traité le sujet et aucune autre ne l'a fait plus directement que le Bodyguards Of The Last Governor d'Alfred Cheung.
Il faut l'avouer, le concept de cette production Wong Jing est particulièrement séduisant. Mettre au poste de gouverneur colonial un Chinois et cela juste avant le passage de relais entre les pouvoirs Britanniques et de la RPC est une situation riche en quiproquos potentiels et en critiques de la situation politique de l'époque. Bien que le nom de Wong Jing associé à l'entreprise puisse faire craindre que ce sympathique point de départ ne serve qu'à une accumulation de gags sans aucun rapport avec l'idée principale, celui d'Alfred Cheung tempère cette peur. Après tout, le petit réalisateur à lunettes avait déjà réussi à mêler humour et politique avec sa série des Her Fatal Ways. Il n'y avait aucune raison que Cheung ne renouvelle pas cette petite réussite en 1996. Malheureusement, le scénario, écrit par les deux hommes, trahit les visions opposées que chacun d'entre eux entretient sur ce qu'est un bon script, empêchant le film d'avoir l'unité nécessaire à sa réussite.
Pourtant, le début de Bodyguards Of The Last Governor laisse augurer du meilleur. En quelques scènes bien senties, Cheung dresse un portrait à la fois tendre et critique de la sphère politique locale. Du gouverneur Anglais bien peu au courant des mouvements activistes locaux (un faux Chris Patten fort bien choisi) aux politiciens le cul entre deux chaises, en passant par des citoyens aux idées contradictoires (on manifeste contre le Japon mais mange des sushis le temps de la manifestation...)... le metteur en scène dresse un portrait peu reluisant de la situation politique dans l'ex-colonie avant la rétrocession. Comique mais, dans les grandes lignes, également plutôt juste. Inutile de préciser qu'un minimum de connaissance de la scène politique hongkongaise des années 90 est nécessaire pour apprécier les références affichées du film.
Ce bon point de départ permet l'entrée en scène du personnage de Yan Chien Fai, simple quidam se retrouvant à l'échelon le plus élevé de la hiérarchie coloniale hongkongaise à un moment critique de son existence. L'apparition de ce poisson hors de l'eau aurait du permettre de mettre en lumière les diverses craintes et attentes entretenues par la population au regard de la rétrocession. Le choix de l'excellent acteur qu'est Law Kar Ying pour l'interpréter aurait du permettre d'enfoncer le clou. Mais, l'influence Wong Jingesque se met à parasiter le film. L'arrivée du nouveau gouverneur ne donne lieu qu'à quelques délires potaches sans véritable vision critique de la scène politique locale. Pire encore, le récit se met à bifurquer sur les personnages de Lugo et Daikin, les deux gardes du corps, orientant le film sur une sorte de buddy movie. Les règles de Wong Jing prennent alors totalement le dessus, dans tout ce que cela peut avoir de positif comme de négatif. Le positif, c'est quelques gags bien trouvés (le repas chez Lugo, l'entraînement pour devenir un garde du corps) et une Chingmy toujours aussi sexy. Le négatif, c'est un scénario qui part dans tous les sens, sans la moindre unité et qui délite toutes les bonnes potentialités posées par son concept de départ. A ce titre, on peut s'interroger sur la nécessité d'ajouter cette sous intrigue avec des tueurs cherchant à se venger du gouverneur qui rapproche Bodyguards Of The Last Governor de tant de petites séries B orientées action/comédie. Cheung ne réussira jamais à redresser la barre face au parasitage du nabab hongkongais.
Sur un sujet en or, l'alliance Alfred Cheung/Wong Jing s'est montrée totalement inadaptée. Le film parvient bien à arracher quelques rires et à divertir mais il y avait tellement plus à exploiter que cela ne peut être qu'une triste déception qui l'emporte. Peut être en cette année 96, le sujet était-il trop brûlant pour être traité plus intelligemment...