Yann Gozlan, scénariste-réalisateur qui a démarré dans l’horror-porn ("Captifs") et que l’on a ensuite remarqué sans être réellement enthousiasmé avec ses thrillers "Un Homme Idéal" et "Burn Out", a clairement passé la vitesse supérieure avec son nouveau polar paranoïaque, "Boîte Noire", qui a le mérite de compter à son générique un Pierre Niney toujours brillant et désormais très en vogue, et… de sortir à un moment où les bons films populaires ne sont pas légion.
Autant l’avouer tout de suite pour ne pas, justement, créer de suspense, les deux heures dix du film passent haut la main l’épreuve de qualification du « bon thriller », le spectateur restant en tension permanente, sans jamais décrocher d’un scénario basé avant tout sur des considérations techniques pas forcément passionnantes. Après une fin qui réussit à être à la fois impeccablement satisfaisante et curieusement décevante, on sortira donc du film avec une légère « gueule de bois » : le plaisir a bien été là, parfois même intense, mais quelque chose a manqué pour que Gozlan atteigne le niveau de ses « modèles ».
Car des modèles, il y en a beaucoup, qui nous viennent immédiatement à l’esprit… "Boîte Noire" raconte l’enquête d’un brillant élément d’un bureau d’enquête de l’aéronautique après le crash d’un avion de ligne qui a tué tout l’équipage et les passagers, et qui va très vite soupçonner que ce qu’il entend dans la boîte noire de l’appareil ne reflète pas la vérité. Et qui du coup, va se trouver plonger dans un univers paranoïaque, parfois à la limite de la folie, jusqu’à la découverte de cette fameuse vérité, dont nul ne sortira indemne. Au-delà de la similitude du personnage central avec celui du très réussi "le Chant du Loup" d’Antonin Baudry, où François Civil était déjà une « oreille » exceptionnelle qui décryptait des sons que personne d’autre que lui n’entendait, "Boîte Noire" retrouve l’atmosphère paranoïaque des grands polars des années 70, dont "Conversation Secrète" de Coppola, également sur le son et son enregistrement, est l’un des modèles plus notables. Une autre référence, évidente, est le "Blow Out" de De Palma, où Travolta décodait dans les sons d’un enregistrement fortuit les traces d’un assassinat politique, et se trouvait dès lors en danger de mort : comme chez De Palma, dont on connaît les sujets fétiches, il s’agit ici de vérité et de mensonges, de faux semblants dissimulés derrière des images ou des sons (contrôlés par des forces toutes puissantes), qui vont tour à tour effacer et dévoiler la vérité du monde. Le rôle du héros du film est d’utiliser la technologie et son propre talent pour servir de révélateur, au milieu d’une réalité saturée d’informations, souvent mensongères. Aujourd’hui, ce genre d’approche pourrait d’ailleurs être facilement qualifiée de complotiste, mais chez De Palma, elle n’a pas de vocation politique, elle sert juste de réflexion, comme chez Hitchcock, sur le rôle et la puissance du Cinéma.
Le fait que Gozlan accumule, plus ou moins ouvertement, ces références écrasantes, n’aide pas le film à se distinguer d’une sorte d’exercice de style bien réalisé, et surtout judicieusement placé dans le monde que l’on imagine bien trouble de la construction aéronautique, où des milliards d’euros sont en jeu à chaque incident ou accident majeur. Gozlan a choisi qui plus est d’adopter ici un style froid et méthodique qui évoque inévitablement celui des derniers grands films de David Fincher, convenant parfaitement à la description d’un monde effacé derrière les signes en tout genre, glacé par les codes du capitalisme dévorant. Le problème est que ce style, justement, requiert un peu plus de talent que Gozlan n’en a encore pour transcender le sentiment d’un formalisme qui s’avère, à la longue, stérile.
Ainsi, l’effet dévastateur de l’enquête sur la vie personnelle de l’enquêteur, est certes évoqué, mais n’ouvre pas le film sur un drame émotionnel, ou simplement humain, qui aurait ramené "Boîte Noire" tout simplement vers la… vie, comme l’ont réussi Coppola dans "Conversation Secrète" et De Palma dans "Blow Out" (ah, l’idée génial du « cri final » de la femme aimée !). Plus grave peut-être, et c’est là où la fin s’avère finalement plus maladroite qu’autre chose, le scénario bien bouclé élimine toute zone d’ombre, toute ambigüité, alors que l’on sait bien que ce sont celles-ci qui font la profondeur et la fascination des fictions paranoïaques.
[Critique écrite en 2021]
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