Aussi éloignés soient-ils, le western et l’épouvante sont deux genres qui ont été associés à de nombreuses reprises. On pense aux intéressants Voraces de Antonia Bird et Vampires de John Carpenter mais aussi au revers de cette association avec les nanars Nuits de Pleine Lune (Hurlements 7) ou Une Nuit en Enfer 3. Il faut dire que ce crossover des genres prête légèrement à sourire tant les deux sont si éloignés qu’il est difficile de les prendre au sérieux. Pourtant, alors qu’il fut l’une des titres surprises annoncées dans la compétition internationale du dernier Festival de Gérardmer, le public géromois s’est tout simplement laissé prendre une claque comme on les aime. Même le jury présidé par Claude Lelouch a été séduit par ce premier long métrage et a tout naturellement décidé de remettre à S. Craig Zehler le Grand Prix du Jury pour son Bone Tomahawk, grâce à son approche classique et à la fois audacieuse d’un genre que l’on sous-estime trop souvent. De quoi donner une visibilité bienvenue à cette proposition de cinéma radicale même si elle n’aura pas eu les honneurs d’une sortie en salles.


Il est intéressant de mettre le film en parallèle de l’actualité internationale. Le climat est plus que pesant ces derniers temps ; entre le débat sur les migrants, les casseurs de Nuit Debout, les récents attentats et le djihadisme, plus que jamais, la peur de l’autre est un thème central. Et plutôt que de trouver une solution aux problèmes, c’est la force qui est employée. C’est donc avec cet état d’esprit que l’on entre dans les premières minutes de Bone Tomahawk. Deux bandits volent et assassinent des cow-boys avant de s’enfuir à travers le Grand Ouest et se faire piéger par des êtres invisibles dont seuls les flèches et quelques sons permettent de révéler leur présence. La tension est insoutenable jusqu’à la mort atroce d’un des deux malfrats. L’unique survivant arrive tant bien que mal à rejoindre la ville la plus proche. Après avoir créé quelques remous dans cette ville sans problèmes, il se fait arrêter par le shérif (incarné par Kurt Russell) et son adjoint (Richard Jenkins). Les deux associés le laissent au bon soin de l’infirmière du comté. Mais les Indiens n’avaient pas perdu la trace de leur proie et, dans l’obscurité du far-west, l’enlèvent de force ainsi que deux autres habitants de la ville. Ainsi le postulat de départ de Bone Tomahawk est simple : il s’agit de virils citoyens américains qui vont combattre des Indiens troglodytes (un autre Indien du film dira cette phrase pleine de sens « Ils ne sont pas comme moi ») pour tenter de sauver trois individus enlevés. Il faut savoir que ces Indiens sauvages (plus que d’autres de leurs congénères) sont des cannibales à la violence acharnée. De véritables monstres de cinéma qui marqueront assurément les esprits, cette année.


Il faut dire qu’en termes de violence et de brutalité, à l’image de l’Ouest américain (soit la critique d’une Amérique qui s’est construite uniquement par la mort des indigènes), S. Craig Zehler ne lésine pas sur les moyens. Pour revenir à la toute-première scène du film, elle s’ouvre sur un homme assoupi, se faisant sauvagement égorger. La chair est écorchée, le sang coule, la respiration devient étouffante et on devine qu’il ne s’agira pas de l’unique image choc du film. Mais avec ces deux heures treize au compteur, Bone Tomahawk prend le temps d’installer une dimension contemplative et de survival appréciable (peut-être pas accessible à tous), donnant au film des allures de western classique bien que résolument moderne. L’intrigue fait donc fi de toute complexité narrative : des cowboys valeureux partent à la rescousse d’une jolie demoiselle, deux heures durant. C’est tellement simpliste et épuré que le réalisateur assume clairement ce postulat pour le contrebalancer en se dirigeant vers des sentiers qui n’ont encore jamais été foulés au cinéma. Les dialogues du film sont le fruit d’une écriture ciselée remarquable et sont balancés avec une telle hargne que la sauvagerie et l’état d’esprit chasseur/proie se ressent dans les mots. C’est aussi grâce à la mise en scène que le film se démarque et prend son envol. Cette dernière prend le temps d’affiner les cadres, de faire durer les plans, de représenter l’étendue de l’Ouest américain qui apparaît comme un territoire inconnu et de jouer sur des contrastes solaires/nuitées somptueux. On notera qu’on tient avec Bone Tomahawk l’une des meilleures distributions de l’année (et donc la plus sous-estimée pour une sortie en salles), avec Kurt Russel (qui excelle encore une fois après Les 8 Salopards), Patrick Wilson, Richard Jenkins et Matthew Fox, tous impeccables. Tout un travail de pur cinéma qui fonctionne à merveille et fait que Bone Tomahawk n’est pas qu’une simple série B. Et que dire pour les amateurs du genre épouvante, dont l’horreur du tiers-final les convaincra définitivement de la haute tenue de ce western si atypique. On se rappelle qu’ils ont été nombreux pendant la séance à Gérardmer à tourner les yeux et pousser des râles de dégoût dans l’ultime climax du film, véritable sommet de barbarie et qui s’impose sans conteste comme l’une des séquences les plus insoutenables de l’année. Un défaut ? Non, absolument pas tant S. Craig Zehler s’avère plus malin que cela et donne un sens légitime à ces scènes de carnage.


C’est peut-être parce qu’il a été terriblement sous-estimé par son distributeur au final, qu’on apprécie tellement Bone Tomahawk. Un film de genre qui donne aussi bien ses lettres de noblesse au western qu’à l’épouvante pure et dure, on a envie qu’il soit vu par tout le monde. Par le soin accordé à sa mise en scène, l’écriture pointilleuse des dialogues, le jeu incontestable de ce casting quatre étoiles et la tension palpable qui règne dans ces terres hostiles, le premier long métrage de S. Craig Zehler est un film de genre efficace qui devrait vraisemblablement marquer les esprits. Et plus que ça, il est la confirmation d’un jeune cinéaste qui a su faire preuve de merveilles avec un budget terriblement modeste. Incontestablement un talent à suivre de très près.


Critique également sur CineSeries-Mag, avec un lien renvoyant également vers un compte-rendu du 23ème Festival de Gérardmer.

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le 4 juin 2016

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Kévin List

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