Si l'on devait se projeter à une époque où littérature et Septième Art n'avaient pas encore brassé le thème de l'errance et illustré le mouvement gothique, nul doute que l'essai de Luca Guadagnino aurait eu toutes les faveurs des publics. Bones and all, lui-même roman à la base, s'octroie bien des images pensées par d'autres. C'est du moins la sensation ressentie lorsque défilent les plans d'une Amérique profonde au rythme du thème lancinant de Trent Reznor et Atticus Ross. Sur un terrain balisé par le souffle mélancolique de la jeunesse, le film déploie l'essentiel du programme auteuriste indé produit cocassement par la MGM puis distribué par Warner Discovery. La rencontre de Maren (Taylor Russell) et Lee (Thimothee Chalamet) , créatures diurnes paumées à l'anthropophagie atavique souffre d'être l'enfant inavoué de Jack Kerouac et d'Anne Rice . Bones and all cherche délibérément à travers sa descendance liée au fantastique et au mouvement Beat Generation une légitimité, pire une envie de jouer des coudes afin d'exister. Mais comment s'affirmer lorsque les désirs artistiques sont écartelés par la soif de genre à l'état brut et le souhait de s'attarder sur des paysages ouverts à 180° ? C'est au coeur des convergences culturelles que le film s'étiole, incapable de densifier sa personnalité. Le réalisateur du remake de Suspiria a forcément été séduit par les visions Kerouaquiennes de Sur la route. Un socle littéraire sur lequel s'appuyer avec pour but de construire un nouveau mythe. Maren et Lee partagent le goût des espaces et du voyage en automobile. La Beat Generation prônait cette communion avec la nature, abordait la consommation de substances illicites et l'homosexualité sans retenu. Les (maigres) parenthèses accordées à la dite "déviance" (la séquence du forain) du film sont rapidement relayées par la violence comme si le genre dévorait littéralement la pseudo-cerebralité de l'ensemble. Les incartades chez Anne Rice et son roman Entretien avec un vampire sort vaguement le spectateur de sa torpeur sans le marquer dans sa chair. On notera les mêmes usages fantastiques pour camper les personnages forcément à la recherche de leurs origines. La marginalité de l'inhumain dans un monde fait de conventions sans omettre le rôle du vieux mentor (Mark Rylance) cerné par la solitude et en quête de partage.


Bones and all est un morceau inerte de l'Amérique, un livre ouvert à peine illustré articulé autour de motifs rabâchés. Seule, la sublime Taylor Russell gagne en grâce et en fragilité. Une vraie découverte.

Star-Lord09
5
Écrit par

Créée

le 26 nov. 2022

Critique lue 670 fois

18 j'aime

22 commentaires

Critique lue 670 fois

18
22

D'autres avis sur Bones and All

Bones and All
Star-Lord09
5

La difficulté d'exister

Si l'on devait se projeter à une époque où littérature et Septième Art n'avaient pas encore brassé le thème de l'errance et illustré le mouvement gothique, nul doute que l'essai de Luca Guadagnino...

le 26 nov. 2022

18 j'aime

22

Bones and All
Noel_Astoc
4

Faux d'artifice

Luca Guadagnino signe un film arty et même artificiel, ni nul ni scandaleux mais assez vide. Formellement accompli et de bonne facture, le film sidère par sa superficialité tant Guadagnino ne tire...

le 24 nov. 2022

12 j'aime

1

Bones and All
RedArrow
6

Let Me Eat

Par sa façon de capter les désirs dévorants des personnages de la plupart de ses longs-métrages, il était presque logique que Luca Guadagnino les matérialise un jour sous un prisme littéralement...

le 23 nov. 2022

9 j'aime

Du même critique

Midnight Special
Star-Lord09
7

ALTON EST LE FILS DE KRYPTON

C'est un critique malheureux qui prend la plume. Malheureux parce que l'orgasme filmique amorcé ne s'est pas produit. Malheureux parce que la promesse de caresser une époque révolue (celle des prods...

le 16 mars 2016

147 j'aime

87

Knight of Cups
Star-Lord09
8

DES DIEUX PARMI LES HOMMES.

Du plus haut des cieux avec "Tree of life" jusqu'au plus profond de l'âme humaine avec "To the wonder", voici venir l'entre-deux "Knight of cups" oeuvre du démiurge Malick. Si la palme d'or de 2011...

le 13 oct. 2015

117 j'aime

49

Youth
Star-Lord09
7

UN COUP D'OEIL DANS LE RETRO.

Youth est un boomerang qui, mal lancé, reviendrait dans la truffe du critique malin d'avoir découvert toutes les thématiques évidentes du dernier Sorrentino. A savoir la sagesse, le recul et surtout...

le 12 sept. 2015

101 j'aime

26