Judith Davis signe avec Bonjour l’asile une comédie sociale qui, sur le papier, avait tout pour être une satire mordante. Sur l’écran, en revanche, le film s’installe dans une douceur presque coupable, caressant son sujet plutôt que de l’interroger frontalement. L’histoire suit Jeanne, idéaliste en quête de sens, qui rejoint une communauté utopique installée dans un château. L’endroit est pittoresque, les discours enflammés, mais très vite, la grande fresque sociale annoncée se transforme en une réunion de militants qui tournent en rond.
Le premier écueil du film est son manque de point de vue tranché. Davis, qui manie pourtant avec finesse l’ironie et la réflexion politique, semble ici hésitante. Doit-elle célébrer ces doux rêveurs ou les questionner ? Résultat : une mise en scène propre mais sans audace, des dialogues souvent plus théoriques que vivants, et une galerie de personnages qui frôlent la caricature. L’utopiste exaltée, le sceptique grincheux, le poète lunaire – autant de figures vues et revues qui évoluent sans réelle surprise.
Ce flou se ressent jusque dans la narration. Les conflits internes sont amorcés mais jamais poussés à leur paroxysme, les désillusions sont effleurées mais jamais creusées. On attend un basculement, une prise de conscience brutale, un écart de conduite qui viendrait troubler cette utopie trop lisse. Mais Bonjour l’asile préfère rester dans une bienveillance confortable, où chaque tension est rapidement désamorcée, chaque débat évité au profit d’une légèreté qui finit par desservir son sujet.
Si le film n’est pas déplaisant, il laisse un goût d’inachevé. On sourit parfois, on s’attache à certains personnages, mais on reste en surface. Là où l’on espérait une satire sociale grinçante, Bonjour l’asile nous offre un portrait attendri, certes sincère, mais qui manque cruellement de mordant. Une utopie cinématographique à l’image de celle qu’il dépeint : séduisante de loin, frustrante de près.