Le cul entre 4 chaises

Bonne conduite est un film qui lance des idées (parfois bien digérées, parfois mal) de ce qu'il veut parodier et ne les exploite que jusqu'à un certain degré. On ressort avec l'impression qu'il y a 4 films, et que chacun annule les autres. Je m'explique :

Premier film: une comédie française pur jus

Laure Calamy, le duo du Palmashow, Thomas VDB, des caméos d'humoristes internet (Ragnar le Breton, Adrien Ménielle). Un casting all stars des visages de la comédie hexagonale.

Deuxième film: un polar

Laure Calamy est une serial killeuse, un duo d'enquêteurs maladroit va tâcher de retrouver qui se cache derrière ses meurtres.

Troisième film: un serial killer movie

Laure Calamy, en masque, poursuit un chauffard et compte le punir. Sa Subaru Impreza est rugissante, ses yeux sont expressifs, son meurtre est froid et violent. Le film commence en mettant les 2 pieds dans le film de genre.

Quatrième film: une romance

Laure Calamy a perdu son mari dans un accident. Elle va faire la rencontre d'un ostréiculteur pas très à l'aise mais touchant et avec un coeur gros comme ça.

Le résultat: Bonne conduite

Au final, que fait Jonathan Barré de ces registres ainsi disposés ?

Concernant l'enquête, on a toujours un temps d'avance sur le duo de détectives. Un polar digne de ce nom nous fait participer à l'investigation AVEC les détectives, nous donne à jouer avec les indices, nous fait regarder les personnages réfléchir (Gone Girl c'est à toi que je pense). Ici, ce n'est pas le cas.

Ce n'est pas un mal en soi mais c'est là qu'un registre (comédie) en annule un autre (le polar). Car c'est à des fins humoristiques que nos deux compères du Palmashow sont menés en bateau et constamment en retard sur l'intrigue.

De plus, certaines situations nous font entrevoir un potentiel comique qui semble avorté.

Exemple : je me suis à fantasmer que l'humoriste Ragnar Le Breton en beauf ultime au style imparable puisse rentrer en conflit pour "la belle" contre Thomas VDB, dont la tête de gars qui ne s'est pas bien réveillé et sent le 1er café matinal est au final sous-exploité dans une intrigue amoureuse gentillette.

Côté thriller, nous avons affaire à un personnage principal qui est une serial killeuse. Mais à aucun moment on est dérangé par ses gestes. On aurait pu la voir sombrer dans la haine, on aurait pu voir sa cruauté augmenter au fil du film. Mais Barré n'exploite pas non plus la folie que peut dégager la géniale Laure Calamy. Pire encore, son personnage ne paie pas pour les vies qu'elle a enlevées, pour la soif de vengeance qui la nourrit.

Cependant, j'ai apprécié que Barré essaie de nous proposer un panorama de ce qu'il aime voir en puisant dans des registres peu vus dans le paysage français actuel.

Mais cela demande une maîtrise qu'il semble laisser au jeu des acteurs, tous bons dans leur rôle. Laure Calamy, Grégoire Ludig et David Marsais s'engagent à porter les gags uniquement sur leurs épaules, ce qu'ils arrivent à faire la plupart du temps.

Il pourrait être intéressant de sortir d'un film dont on aurait pas compris exactement où il voulait nous emmener. Ce n'est un problème que lorsque le réalisateur lui-même ne sait pas sur quel pied danser. Certains chefs-d'œuvre tels que The Strangers (comédie loufoque - polar - film de fantômes) ou Three Billboards (drame social - comédie - enquête) ou encore Bernie de Dupontel ont montré la voie vers ce difficile mélange des genres.

Et chez Pixar où la créativité est le point commun à (presque) tous leurs films, on parle de la technique du milking, qui est l’art de «traire» tout le potentiel des éléments narratifs.

Au lieu de s'éparpiller, on va prendre quelques idées seulement, les pousser dans leurs retranchements en les "trayant" jusqu'à la dernière goutte. C'est un moyen de rendre les films très inventifs tout en resserrant l'histoire.

Jonathan Barré n'est pas à la hauteur de son pitch fabuleux qui ne parlera qu'à moitié aux publics qu'il pourrait intéresser : tous se sentiront abreuvés, mais d'un verre à moitié vide. Bonne Conduite reste un film sympathique. Ce qui me chagrine, c'est qu'un petit bijou de film à la fois drôle, haletant, romantique et cruel s'y cache.

5,5/10