Mauvaise paire
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le 9 août 2021
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Alors que son premier et remarquable film Tu mérites un amour s'osait au décalage permanent, inédit et délicieusement déroutant, s'affranchissait de toute forme ou genre imposé dans un geste de cinéma libre et insolent, ce Bonne Mère, débordant de bonnes intentions et souvent déchirant, rentre malheureusement dans les carcans plus convenus du film social à tendance naturaliste.
L'élève de Abdellatif Kechiche aura au moins hérité de lui cette force à capter des instants de vie de famille commune et communs, à saisir des personnages, des familles, des sous-intrigues multiples. Mais là où Herzi n'atteint pas la grâce de son professeur, c'est lorsqu'elle cherche, contrairement à lui, à émouvoir et justifier ce qu'elle filme, à le sous-tendre avec une intrigue qui, de fait, invite le spectateur à suivre un récit, et ainsi l'encadre dans un schéma narratif classique qui ne le surprendra guère.
Ainsi Bonne Mère cède souvent aux facilités, jouant l'arme de la musique tire-larmes qui appuie au bon moment, des gros plans au soleil couchant et de l'émotion guidée, ponctuée de plans muets sur le quartier désert et abîmé, sorte de témoignage facile de gens qu'on abandonne. Il est dommage qu'Herzi ait donc perdu une part de sa liberté dans ce qui aurait pourtant pu être encore plus pleinement le portrait intime de cette mère universelle.
Et pourtant, force est de constater que la réalisatrice réussit nettement sur deux points.
Le premier est dans le décalage de ton qu'elle retrouve dans la grossièreté poussée, trop grosse pour être gratuite, trop trash pour ne pas être une petite provocation faite au bourgeois venu s'émouvoir du malheur de cette famille des quartiers Nord de Marseille, et prendre sa dose de misère humaine. Dans la façon dont Hafsia Herzi maltraite son spectateur et va loin, jusqu'à la limite, elle fait profondément rire ; on y retrouve l'insolence de son ton, son côté gentiment caricatural, qu'elle avait su bien manier dans les excès de coups de sang et de larmes de son premier film. Ainsi, par les gestes agressifs, les phrases violentes, le flux d'insultes et d'argot, elle plonge son spectateur et le remue pour mieux le remettre à sa place et prouver que son film aurait perdu quelque chose à n'être qu'un documentaire (ce que l'on ne peut pas dire de la plupart des films sociaux qui utilisent la fiction comme pur moyen vendeur de parler d'un sujet). Ainsi, pendant une bonne partie, son film est un jeu constant de parallèles entre extrêmes, de contrastes entre deux réalités, celle d'une mère qui se tue à la tâche pour subvenir aux besoins de ses enfants, qui reste humble, dans une posture de matriarche sacrificielle, et celle d'une fille qui se prostitue et naïvement pense qu'elle ne le fait pas, afin, elle aussi, de subvenir aux besoins des siens ; celle d'une mère qui se lève pour aller travailler et regarde le soleil du petit matin et une fille toujours debout à la même heure ; celle d'une mère entourée de collègues bienveillants et humbles, et d'une fille entourée de "collègues" maquerelles, violentes et veules (malgré une scène de rap au soleil couchant qui en émouvra plus d'un). Dans ce contraste, Herzi trouve une jongle particulière qui lui tient lieu de péripéties pendant un bon moment, et qui de fait tient le spectateur en haleine.
Le deuxième est dans l'efficacité des portraits qu'elle dessine. Dès les premiers instants, la réalisatrice sait faire de son actrice principale une révélation et de son personnage principal une mère forte, humble, toujours dévouée, naïve mais jamais stupide, travailleuse acharnée et aimante, punching-ball de certains, source de réconfort pour d'autres. Dans le regard doux qu'elle aborde avec un petit sourire mélancolique qui ne la quitte qu'au moment de larmes méritées, dans l'assurance de chacun de ses gestes, aussi lents et grâcieux soient-ils, Halima Benhamed est véritablement remarquable, et toujours à la limite de nous faire chavirer, belle dans sa force et dans l'aura qu'elle porte avec elle. Et c'est donc avec elle qu'on sera souvent ému, aux larmes, dans sa façon qu'elle a d'accueillir les siens autour de sa table, en les charriant avec amour tout de même, celle qu'elle a de tout faire pour son fils emprisonné, celle qu'elle a d'offrir sans attendre de recevoir, et de prendre le bus trop tôt pour aller travailler trop loin.
Bonne Mère pourrait rappeler le Fatima de Philippe Faucon qui avait tant ému l'académie des Cesar en 2015. Si les deux films se rapprochent sur le sujet, le film d'Herzi a au moins le mérite d'apporter par l'image de la vie à la froideur, de constater sans chercher à analyser, de se refuser à toute réflexion politico-méritocratique, et d'oser avec audace briser les barrières de son genre pour apporter une trace de bizarrerie, de décalage, de provocation amusante.
Bonne Mère, protéiforme, aussi classique que surprenant, (in?)volontairement drôle mais toujours émouvant, qui décrit sans trop chercher à raconter ou à expliquer, est donc la preuve qu'on attendra encore une fois avec grande hâte le prochain film de Hafsia Herzi.
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le 19 août 2021
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