2e Bond, plus feutré, plus sombre, à l'humour plus froid, plus complexe et plus subtil.


2e Bond, aux deux grandes personnalités: JFK, qui avait déclaré que le roman éponyme était son préféré, ce qui a aiguillé le choix d'adaptation, et qui est mort la même année, assassiné comme chacun sait; Pedro Armendariz, célèbre acteur mexicain, vedette fétiche de John Ford et Emilio Fernandez, connus principalement pour des westerns et des biopics historiques, qui se sacrifia pour terminer le film malgré son cancer en phase terminale et dont les fils - à l'instar de son jouissif personnage de Kerim Bay - apparaissent à l'occasion dans des rôles d'importances diverses (Permis de tuer, Quantum of solace).


2e Bond, qui aurait dû s'intituler Spectre (idée qui m'est venue à son sujet bien que ne soit nommé le 24e volet des aventures de 007), consistant plus à présenter l'organisation terroriste centrale de l'univers bondien qu'il ne se déroule en Russie (en réalité, la Russie est totalement absente de ce film, si ce n'est dans le titre).


2e Bond et pourtant 1er Bond, qui pose des codes encore incertains et flous dans le Dr No et les casse dans le même temps. Un chef-d'oeuvre !


1er Bond disposant de gadgets, le compteur Geiger et le char-dragon du précédent opus faisant pâles figures face au fusil démontable et à la valise aux milles surprises de Q (doublons d'or cachés, couteau rétractable et serrures piégés au gaz). A noter que Q est toujours nommé Boothroyd, toujours qualifier d'armurier et qu'il est joué pour la première fois de la saga par Desmond Llewelyn (Chitty Chitty Bang Bang), l'interprète le plus apprécié et le plus récurrent dans ce rôle à ce jour ( 18 volets en tout). Gadget plus discutable, l'artefact à l'origine du complot du film, le décodeur russe.


1er Bond où apparaît le SPECTRE, jusqu'ici uniquement nommé par le Docteur No. Une présentation haut en couleur pour l'organisation criminelle N°1 de l'Univers de 007 bien que le N°1 du Spectre soit encore "caché". Une introduction du SPECTRE sublime, qui ne souffre aucun adversaire et qui se gausse du fond des années 60 du Projet Treadstone de Jason Bourne et de la nouvelle introduction du SPECTRE en 2015, piètre parce que bien trop nombriliste.
En effet, Bons Baisers de Russie propose au spectateur une galerie de méchants parmi les meilleurs de la saga, devenus les patrons de plusieurs modèles de méchants.
Le plus emblématique, car il incarne le SPECTRE à lui seul, se déplaçant dans l'ombre de Bond et Tatiana, tel un ange gardien mais aussi un serpent attendant le bon moment pour mordre, tel un fantôme anonyme qui peut être tout un chacun, c'est Donald "Red" Grant. Bond assimile d'ailleurs Grant au Spectre, lorsqu'il comprend ce qui se trame: "C'est donc le Spectre qui a tué cet homme à Istanbul: vous" (comprenez: vous êtes le Spectre). Majestueusement interprété par Robert Shaw, qui a su se faire une place par la suite dans L'Ouragan vient de Navarone ou dans Les Dents de la mer, l'homme est un double de 007, agent au costard disposant d'un montre qui recèle un fil pour étrangler. Il est à ce titre le modèle de Necros, un méchant de Tuer n'est pas jouer. Colosse capable de prendre des coups inattendus de poing américain dans le ventre sans sourciller, il est aussi un génie de la substitution et de la dissimulation, à la fois une grosse brute et un intellectuel avisé. Ancêtre d'Oddjob, Requin, Kriegler, Gobinda ou M. Hinx, il apparaît également comme le modèle du blond Raoul Sylva, plus sobre, plus cupide et moins excentrique. Red Grant est surtout l'icône du film par son nom (Red= rouge, coulmeur des soviétiques, grant= financé, employé par), qui suggère son implication dans les activités du SMERSH tandis qu'il opère en réalité pour le SPECTRE.
Car le complot du film est à l'image de son humour et de ses dialogues, retors, ironique et sibyllin. Son auteur, Tov Kronsteen, est un champion d'échecs invaincu, extrêmement imbu de lui-même ("Qu'est-ce que Bond comparé à Kronsteen?"), au physique proche de celui de Daniel Craig, campé de manière délicieusement détestable par Vladek Sheybal (Casino Royale, Le Saint). Tel une chauve-souris malveillante, son ombre plane au-dessus de l'intrigue, ce personnage si essentiel apparaissant pourtant de façon fugitive. Son plan consiste à pousser une agent russe à jouer les transfuges et à promettre une technologie soviétique pour séduire un agent britannique qu'elle pense piéger pour ensuite les tuer de façon à faire croire à un double assassinat passionnel et s'emparer de la technologie russe et la revendre au plus offrant. Le machiavélisme torturé et rocambolesque fait homme !
Pour y parvenir, il pourra compter sur Red Grant mais aussi sur l'âme damnée qui le dirige: Rosa Klebb. Rosa Klebb, ex-huile du KGB totalement gagnée au SPECTR**E est un monstre humain à la physionomie inquiétante excellemment rendu par les moues et les gros verres de lunettes de **Lotte Lenya, célèbre actrice et chanteuse autrichienne d'origine allemande, femme de Kurt Weil et muse de Bertolt Brecht. Monstre physique, c'est aussi un monstre d'insensibilité qui ne connaît qu'une seule faille: les femmes. Rosa Klebb est par conséquent le premier personnage homosexuel de la saga, raison probable du gadget phallique que lui procure Morzeny, des chaussures armées de lames tranchantes enduites d'un poison mortel agissant en quelques secondes. Un gadget sexe de substitution qu'i n'empêche pas la féminité de Klebb qui figure une sorte de Reine des abeilles bien humaine.
Celui qui procure les hommes de mains et les gadgets, c'est Morzeny, sorte de Q made in SPECTRE, directeur de l'Île du SPECTRE qui forme et entraîne les forces du SPECTRE. Membre essentiel de l'organisation, il est peut-être pas suffisamment exploité par la diégèse, discrètement campé par Walter Gotell (Les Canons de Navarone), célèbre pour avoir joué dans pas moins de six autres volets de la saga EON où il interprète Gogol, le chef du KGB puis Ministre des Affaires étrangères russe. Sa balafre semblant une brûlure au coin de l'oeil en fait le modèle de plusieurs antagonistes de Bond tels que Blofeld, Janus ou Le Chiffre.
Modèle d'un Blofeld, pour l'instant caché dans ce film, joué physiquement par Anthony Dawson, l'interprète du Pr Dent dans le Dr No et vedette fétiche d'Hitchcock (Le Meurtre était presque parfait), vocalement interprété par Eric Pohlmann (Derrick, La Panthère rose). Le duo assez improbable livre pourtant un Blofeld plus inquiétant que jamais. Un Blofeld lui aussi à l'image du film, ironique et mystérieux, puisqu'il est caché jusque dans le générique de fin où le nom de Blofeld est accompagné d'un point d'interrogation en guise de nom d'interprète.
Un bon ensemble de monstres qui se compare lui-même à un poisson qui profite machiavéliquement de l'affrontement des gros poissons pour prendre le survivant exténué à la gorge.


1er Bond où se posent concrètement les codes du film bondien d'EON.
Bons Baisers de Russie invente la scène pré-générique dans un décor inoubliable, toujours présent dans les studios Pinewood et pose le Gunbarrel avant elle. Bons Baisers de Russie réinvente le générique pour le distinguer de la forme trop proche de nombreuses série d'époque (Le Saint, I Spy, etc...). Forme propre à la saga que ne saura pas conserver Casino Royale en 2006 qui tablera sur la prétendue originalité du générique du Dr No, trop proche du nouvel Oss117 ou de Mad Men. Bons Baisers de Russie lance aussi en fin de film l'habitude, perdue aujourd'hui, d'annoncer le titre du prochain volet suite au célèbre excipit: "James Bond will return". Enfin Bons Baisers de Russie est le premier Bond à se dérouler dans deux des lieux de prédilection des aventures bondiennes: Venise (Moonraker, Casino Royale) et Istambul (Le Monde ne suffit pas, Skyfall).


1er Bond à casser les codes.
Ce qui n'est pas un petit exploit quand on les pose dans le même temps.
Bons Baisers de Russie est plus sombre et moins fantaisiste que le Dr No et son île radioactive, sa vénus et son pseudo-dragon ou que son successeur Goldfinger et sa cathédrale d'or et ses lasers qui vont jusque sur la lune. C'est un film très ancré dans la réalité, dans la violence de la guerre, qui met ses gadgets à distance pour ne les faire apparaître qu'au moment opportun. Exit donc Ken Adam parti travailler sur le Docteur Folamour, qui a pourtant fait les décors fous de la plupart des James Bond.
De plus, il n'y a pas de méchant principal prédéfini, si ce n'est Kronsteen que Bond ne rencontrera pas puisqu'il n'affronte que ses sbires. La menace, comme Blofeld, reste cachée dans l'ombre, indistincte.


1er et pourtant 2e Bond avec Sylvia Trench. Donc premier et dernier pour l'heure à faire apparaître deux fois de suite la même James Bond Girl.
Le retour triomphal d'une Eunice Gayson (La Revanche de Frankenstein, Le Saint) en Sylvia Trench toujours aussi commandante et nerveuse.Une de ces prétendues potiches des années 60 qui en remontrent tant aux pâles femmes de caractère du nouveau Bond. En bref le retour d'une très grande James Bond Girl.


Cela dit, c'est au niveau des James Bond Girl que peut survenir la déception du film.
Car l'agent russe Tatiana Romanova, très belle, indiscutablement exquise au demeurant, est fade. C'est un peu la gourde de service que les portraits de Kerim et son action décisive en fin fin de film cherchent à redorer. On comprend le dilemme qui la hante, on voit sa subtilité, sa colère déguisée en sourire derrière le machisme de Bond mais passé la psychologie, Tatiana n'est qu'une femme languissante, secrétaire à l'ambassade d'Istambul et néanmoins agent du KGB. Elle manque de clarté et de crédibilité et se confond avec la femme de Kerim elle-même toujours en pâmoison face à Sylvia Trench et à la gitane Zora (interprétée par une Martine Beswick qui a gagné du galon avant de prendre plus d'importance encore dans son futur rôle de Paula Caplan).


C'est d'ailleurs de Zora que peut surgir une autre déception. En lutte mortelle avec une autre gitane pour l'amour d'un homme, elle doit convaincre Bond qui est chargé de désigner celle qui épousera l'homme en question. L'issue de ce choix est soit peu claire soit inexistante, une piste narrative pourtant intéressante.


Autre barrière du film, son réalisme qui inscrit le film dans le temps et le vieillit de beaucoup: Bond y porte plus le chapeau que dans les autres volets, Tatiana apparaît voilée, les indicateurs ressemblent à des collaborateurs de l'Occupation et une sortie secrète de l'ennemi mortel de Kerim Bay, qui se fait à travers la bouche de Marylin Monroe sur l'affiche de Niagara, un film des années 50 dans le roman, se fait à travers celle d'Anita Eckberg sur l'affiche d'Appelez-moi chef, un film vedette de la même année que Bons Baisers de Russie. Ce qui vieillit et témoigne en outre des nombreuses libertés prises par rapport au roman.


Enfin, l'humour noir et froid de ce nouveau volet, feutré, subtil, semblant contraint à l'amuïssement ironique par le contexte sous tension de Guerre froide de la ville d'Istambul, peut en refroidir plus d'un. Ce fut mon cas, jeune. C'est la maturité qui fait accepter la grande intelligence de cet exceptionnel deuxième volet des aventures du célèbre espion Bond, James Bond.


BONUS (à ne lire qu'après visionnage):


Bons Baisers de Russie s'inspire de La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock, lorsque Bond affronte dans champ un avion venu le tuer comme c'est le cas pour Roger Thornhill dans le film référence.


Bons Baisers de Russie a inspiré:



  • La Dernière Croisade de Steven Spielberg où le père d'Indiana Jones, joué par Sean Connery, l'interprète de James Bond dans Bons Baisers de Russie, reconnaît avoir peur des rats qui grouillent dans le tunnel qui mène à un indice sous la bibliothèque de Venise. Venise est l'un des lieux des deux films et la phobie du personnage de Connery relève en raillant le choix de Bond d'éviter un tunnel pour la bonne raison qu'il regorge de rats.


  • Inspecteur la Bavure de Claude Zidi. Ce n'est pas sûr mais le nom du truand joué par Gérard Depardieu est troublant: Morzini. Un quasi homonyme de Morzeny, le directeur de l'île du SPECTRE !


  • Le Caire, nid d'espions de Michel HazanaviciusOss117 reconnaît ses contacts grâce à un code qui d'ailleurs fait l'objet d'un running gag: "Comment est votre blanquette? Elle est bonne! On me dit le plus grand bien de vos harangs pomme-à-l'huile". Cela n'est pas sans rappeler celui de Bond dans Bons Baisers de Russie: "S'il vous plaît, avez-vous une allumette? Non, j'ai un briquet. C'est encore mieux! Oui, quand ça marche".


Créée

le 21 juil. 2016

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Frenhofer

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