Tina travaille dans une douane. Elle repère très vite les individus criminels, les transporteurs de contenus illicites. Elle les sent. Elle sent la culpabilité, la peur, le remord, elle sent comme un animal, d’instinct. Tina est affreuse, son visage est déformé, ; une peau rugueuse, des yeux enfoncés, une marche lourde, des dents éparses. Sa gueule est comme la trogne d’un vieil arbre.
Animal, monstre, handicapée au chromosome manquant, Tina ne sait pas ce qu’elle est. Nous sommes perdus avec elle, cherchant des réponses chez son père à la mémoire défaillante, dans ses interactions avec les autres, humains et animaux. Elle vit recluse dans la forêt, où elle semble enfin à l’aise, où elle se fond dans le décor.
Un jour, elle sent Vere. Une autre trogne, une brute grognante aux griffes noires, mangeant des vers de terre. Elle hume chez lui une odeur commune, un désir naissant…
Salutation au travail du maquillage. Salutation au travail de l’image où les éléments filmés se prêtent à être touchés et sentis… Salutation aux jeux des acteurs principaux, Eva Melander et Eero Milonoff.
Romantique, drôle, thriller, horrifique… le film est polymorphe. Il ne se range dans aucune norme. Le fantastique se propage lentement dans une peinture de fond réaliste, décrivant une psychologie ciselée des personnages, ce qui rend plus intenses et crédibles les évènements incroyables. Le réalisateur déclare dans un article signé Télérama : « J’aime le réalisme magique, la réalité floue dans laquelle l’imaginaire s’épanouit. »
Bestiale, amante, en symbiose avec les éléments, Tina est un mystère. Les autres sont faibles, lâches, squatteurs, exclusifs, agressifs, intéressés… Une monstruosité quotidienne à laquelle Tina ne peut faire face qu’en se révélant à elle même. Le spectateur est tenu en haleine devant ces monstres se roulant dans la terre, hurlant de plaisir sous des trombes de pluies. Leurs corps sont matières comme l’écorce de l’arbre, la neige dure, la mousse des rochers. Tous les sens sont éveillés. La nature envahit petit à petit tout le cadre tandis que le mystère se dévoile. Border nous invite à repousser les frontières de l’humanité tracées par une civilisation qui se dévore elle même. Nous sortons de ce conte le coeur battant, avide de sentir à nouveau l’odeur de notre âme remuée.