Comment filmer deux légendes du sport ? Comme deux héros ou comme deux hommes ?
J’ai abordé ce film à moitié comme une finale de Wimbledon, à moitié comme l’affrontement entre deux héros tragiques.
Certes, la finale d’un tournoi de tennis n’est pas le climax d’une tragédie grecque mais cette finale messieurs de Wimbledon 1980 est tout de même légendaire : je voulais voir l’affrontement tragique entre deux héros, le placide Borg et le bouillant McEnroe, je voulais voir des coups droits divins et des revers épiques.
Mais le film défend une autre idée, et c’est sûrement lui qui a raison : même si Borg et McEnroe sont des sportifs un chouilla mieux que nous, ils restent des hommes.
Un tennisman n’est pas un héros, hélas : c’est un sportif laborieux malade de ses doutes et de ses obsessions. Des flash-back un peu trop systématiques rompent le rythme du film et s’attachent surtout à nuancer les deux tennismen et à montrer qu’il y a sous le feu McEnroe la glace d’un environnement familial strict et déshumanisé ; sous l’iceberg Borg, le feu d’un caractère explosif, bridé et refoulé.
Bref, Borg n’est pas la glace, McEnroe n’est pas le feu : les deux sont tièdes ; ce qu’on gagne en réalisme psychologique, on le perd en héroïsme.
En fait, le film est cohérent : il filme cet affrontement comme un vrai match de tennis, et pas comme un match de tennis tel que je le fantasme. La forme du film épouse la forme du match de tennis : il y a de la tension, des coups d’éclat, des moments qui coupent le souffle, mais aussi, entre ces grands moments, de l’ennui.
Aussi, le film est intelligent et réflexif quand il justifie l’impossibilité d’héroïser ses personnages : à partir des années 1980, les grands sportifs ne peuvent plus être des héros, car ils deviennent des stars et des panneaux publicitaires, des objets de consommation plus que d’admiration.
Sauf qu’il s’agit d’un film, malgré tout : même si les deux larrons sont des hommes dans la réalité, pourquoi ne pas en faire de véritables héros au cinéma ? Pourquoi peindre les hommes tels qu’ils sont au lieu de les peindre tels que nous voudrions qu’ils soient ?
Et d’ailleurs, quelques moments sont épiques, notamment lors du fameux affrontement Borg / McEnroe. Le scénario du match est extraordinaire, déjà : le film a de la chance. Et certains plans sont iconiques, comme par exemple lorsque les deux joueurs sont filmés en une plongée totale qui donne l’impression qu’Athéna ou Apollon veillent sur Hector / Borg et Achille / McEnroe et les assistent.
Mais cette héroïsation n’est pas assumée, en raison d’un parti-pris tout à fait défendable. Pourtant, au lieu de dessiner des portraits nuancés des deux sportifs, pourquoi ne pas en faire de vraies figures, choisir l’exagération plutôt que la nuancer, et hyperboliser la froideur de Borg et le feu de McEnroe ? Pourquoi ne pas filmer des héros plutôt que des hommes ?