S’il y a bien un cinéaste injustement sous-estimé parmi la dernière vague de réalisateurs d’actioners, c’est Joe Carnahan. Dès ses débuts avec le polar Narc, le gonze a su démontrer un talent suffisamment remarquable pour attirer l’oeil de tous les connaisseurs, dont un en particulier, Tom Cruise. Ce dernier offrit d’ailleurs à Carnahan le poste de réalisateur sur le troisième film de la franchise Mission Impossible. Mais après avoir travaillé quinze mois sur le film, le réalisateur jeta l’éponge pour des différents d’ordre créatifs. Deux films d’action débridés plus tard, il réalisait ensuite son chef d’oeuvre, The Grey (Le Territoire des loups), véritable survival humaniste qui offrait à Liam Neeson son meilleur rôle après celui d’Oskar Schindler. Puis Carnahan a disparu des radars, réalisant un petit budget pour Jason Blum longtemps inédit en France (Stretch) avant de fonder avec Frank Grillo sa propre boite de production WarParty Films et préparer deux nouveaux opus, Copshop (qui sortira prochainement) et Boss Level, véritable film-concept à l’action débridée qu'il tentait de réaliser depuis près d'une bonne dizaine d'années. Produit pour sortir en 2020, ce dernier film s’est finalement perdu en pleine pandémie de Covid et a été racheté pour une diffusion DTV sur les plateformes Hulu et Amazon Prime.


Ancien membre de la Delta Force, Ray (Frank Grillo) revit le même jour depuis belle lurette, poursuivi en pleine ville par une armée hétéroclite d’assassins qui tentent par tous les moyens de le supprimer, et ce, sans qu’il puisse s’expliquer pourquoi. Il a beau survivre un temps aux attaques répétées des tueurs, il arrive toujours un moment où il se fait avoir par l’un d’entre eux. Décapité, empalé, écrasé, explosé ou criblé de balles, Ray expérimente de jour en jour, mais toujours le même, différentes manières de mourir avant de se réveiller à nouveau le même matin, directement attaqué à la machette dans son pieu par le premier assassin, l’infatigable Mr Goodmorning. Qui sont ces tueurs ? Pourquoi en ont-ils après lui ? Et comment se fait-il qu’il revive sans cesse le même jour malgré ses différentes morts ? Ray pense que tout est lié à son ex-compagne (Naomie Watts), une ingénieure de génie qui travaille à un projet technologique secret pour le compte d’un obscur colonel. Il a toute l’éternité d’une journée pour survivre à ses poursuivants et tenter de répondre à ses questions.


De prime abord, Boss Level n’a rien de vraiment original. Il reprend à son compte le concept de boucle temporelle popularisé par la comédie Un jour sans fin en y apposant une mécanique de survival débridée proche d’un Running Man ou plus récemment d’un Guns Akimbo. Mais Carnahan est un réalisateur qui en a sous la caboche. Egalement au scénario, il aborde son intrigue par une mise en place aussi spectaculaire que bourrée d’idées décalées, de références aux jeux vidéos et d’humour noir. Une exposition rythmée par la voix-off du héros et sans cesse perturbée par ses différentes mises à morts, toutes plus drôles les unes que les autres. C’est ainsi un véritable plaisir cruel que de voir le héros incarné par Frank Grillo, véritable action man en puissance, se faire trucider de plusieurs façons (souvent de manière spectaculaire et inattendue) alors qu’il arpente à toute berzingue les rues de la ville en mode GTA. D’autant plus que le réalisateur s’en donne à coeur joie pour piéger son héros alors qu’on (qu’il) s’y attend le moins.


Bien sûr, l’idée a de quoi divertir pendant vingt bonnes minutes d’exposition, elle menace évidemment d’atteindre rapidement ses limites et de lasser le spectateur. Conscient qu’il ne pourra pas construire son film sur une simple répétition de gags et de mises à morts décalées, Carnahan renouvelle donc sans cesse sa narration et n’oublie jamais de faire vivre son héros, en mêlant à sa trajectoire flashbacks explicatifs et séquences plus intimistes dans un véritable tourbillon d’action jubilatoire. Le héros passe ainsi par différentes phases, de la fuite désespérée à l’offensive, en passant par la résignation suicidaire (la séquence de la discussion de comptoir) et l’approche affective (l’intérêt de passer ses derniers moments avec un fils qu’il ne connait que peu). On rit souvent des trépas du héros tout en souhaitant toujours qu’il arrive à atteindre son objectif. Et c’est souvent à deux doigts de celui-ci qu’il échoue. Mais loin d’être gratuite, chaque répétition a pour but de faire évoluer la trajectoire du personnage et le récit dans une direction inattendue. On croit tout d’abord que le scénario nous dirige vers un affrontement final avec le big boss Gibson, puis le héros réalise la vacuité de ses tentatives de vengeance et réalise l’importance d’une journée passée avec son fils, avant de découvrir qu’il a en fait la possibilité de sauver sa femme et peut-être bien le monde avec elle.


Alors oui, Boss Level n’est qu’un film d’action de plus dans un panorama hollywoodien déjà bien chargé en productions du même type. Mais il a pour lui d’exploiter intelligemment son concept dans une agréable alternance d’humour (noir), d’action et d’émotion. Un film qui ne pète pas plus haut que son cul et qui regorge de scènes savoureuses, qu’il s’agisse d’un Mel Gibson dissertant sur la cruauté de la nature ou d’un Frank Grillo s’arrachant sans sourciller les molaires, en passant par cet immense porte-flingue qui trépasse « en sentant le muffin » et ce running gag inlassable de la tueuse chinoise déclamant la même punchline, cheveux au vent. Des comédies SF d’action comme ça, aussi drôle, généreuse et spectaculaire, franchement moi j’aimerai en voir plus souvent.

Buddy_Noone
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes La SF à l'écran et Douce est la vengeance de celui qui a reçu l'injure

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le 25 août 2021

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