Les Peuples du Petit Père
1947. Soutchan, petite ville minière de la Sibérie Orientale (qui a changé de nom depuis), est transformée en camp de prisonniers. Au milieu d'un indescriptible chaos, deux enfants, Valerka et Galka, essaient de survivre. Ils vendent du thé aux personnes qui s'entassent dans les rues. Ils tentent même d'avoir une vie normale d'enfants qui vont entrer dans l'adolescence. Mais quand il n'y a plus d'organisation sociale, sévit la loi du plus fort.
Décrit comme cela, ça ne fait pas forcément envie, mais ce film est un chef d’œuvre. C'est la seconde tentative que je fais pour écrire cette critique, et je sens bien que je ne réussirai pas à donner une petite idée de la claque que j'ai ressentie devant ce bijou.
Une claque visuelle d'abord. Le film est tourné dans un noir et blanc qui rend tout l'univers gris. Et le gris, c'est la couleur idéale pour l'URSS. C'est exactement ce qu'il fallait pour faire revivre cette petite ville perdue, aux rues envahies par la boue, une ville minière de surcroît (ce qui ne favorise pas la beauté des paysages). Dès le début, nous sommes plongés dans une ambiance grise. Un monde sans espoir. Sans avenir. Un monde statique où rien ne se passe et où on ne peut pas espérer qu'il se passe quelque chose.
Et pourtant, ces deux enfants, ils représentent forcément un avenir possible (comme tous les enfants). Un avenir marqué par la débrouillardise, le système D. Et surtout, l'amitié (l'amour ?) qui unit Valerka et Galka est un cas unique dans le film. Cas unique de solidarité, d'union de deux êtres.
Les enfants ne sont pas innocents, bien sûr, mais qui peut l'être dans un tel monde ? Car outre la beauté poétique de ce petit couple, le film nous montre le chaos social de l'URSS du Petit Père des Peuples. Loin de l'imagerie officielle, nous sommes plongés dans un monde oublié par les autorités centrales. La population est entièrement livrée à elle-même dans un univers violent et désespéré (violent car désespéré).
Tourné en 1990, alors que l'URSS vivait son ultime agonie, ce film nous rappelle ce qu'a été la vie dans le monde de Staline. le tout à travers les souvenirs du cinéaste.
On pense aux 400 Coups (mais en beaucoup mieux), à Oliver Twist, parfois même à Tarkovski. La réalisation dégage une grande liberté de ton qui fait penser à toutes les "Nouvelles Vagues" au Monde. Tour à tour réaliste ou expressionniste, le film est finalement inclassable.
C'est un choc. Un énorme moment d'émotion brute. Une œuvre inoubliable, d'une intense beauté, qu'il faut impérativement re-découvrir pour qu'elle puisse trouver sa place parmi les classiques incontournables du cinéma contemporain.