Un des premiers films à sortir des studios français après la libération est donc l'adaptation de deux nouvelles de Guy de Maupassant. Logique quand on considère que l'écrivain normand fut traumatisé par la guerre de 1870, contre le voisin teuton déjà, ce qui se ressent singulièrement dans son œuvre. Si quelquefois il n'est pas tendre envers ses compatriotes, ces gros débiles qui se sont laissé encercler à Metz et découper en rondelle à Sedan, il se montre toutefois beaucoup plus incisif contre l'ennemi prussien. Forçant le trait jusqu'à la carricature, décrivant des bavarois adipeux et des officiers d'une froide cruauté, Maupassant se pose comme un "écrivain patriote".
Mais propulsons nous en 1945, l'année du patriotisme exacerbé et de la 1ere DB qui défile crânement sur les Champs Elysée. L'œuvre de Maupassant n'a jamais été aussi d'actualité depuis la dernière grande guerre. Christian Jaque, qui a fini la guerre aux côtés des FFI, y voit la plus belle façon de rendre hommage aux patriotes victorieux, et de régler ses comptes avec les attentistes mollassons.
Il mélange habilement deux nouvelles de Maupassant (Boule de suif et Mademoiselle Fifi) pour ne faire qu'une histoire dans laquelle il encense les héros ordinaires, ceux pour qui la résistance va de soit. Ceux-ci étant mis en contraste avec les petits bourgeois qui craignent que pour leur argent que pour le sort de leur patrie et de ses habitants. D'ailleurs ils parlent souvent "des français" en s'excluant de cette masse qui ne représente pas grand chose pour eux. "Les français ont perdu à Sedan", "Les français se replient sur la Loire", "Les français ont chassés Louis Philippe et vpila le résultat". Ce à quoi le personnage de l'artiste railleur leur répond "mais comment donc, vous n'êtes plus français?".
A bas les défaitistes et les collabos! En 1945 c'est l'heure des règlements de compte. C'est l'heure où on peut (et doit) être fier d'être français. Et étonnement ça va durer assez longtemps. Quelques mois plus tard sortira La guerre du rail, énorme coup de pommade sur l'orgueil blessé des français. Le cinéma français continuera dans cette veine, en mettant peu d'eau dans son vin, avec des films comme L'armée des ombres ou Un homme de trop. Et ce jusque dans les années 70. Boule de suif apparait donc un des pionniers de cette longue liste d'œuvres plus ou moins patriotes et manichéennes. Et même un éminent membre de cette liste que l'on se doit de voir.