Le film "Boule de suif" que Christian Jaque réalisa au moment de la Libération en 1945 est l'adaptation par Henri Jeanson de deux nouvelles de Maupassant "Boule de suif" et "Mademoiselle Fifi". Ces deux nouvelles relatent les aventures d'une prostituée lors d'un voyage en diligence au moment de l'Occupation prussienne de la Normandie en 1870.
L'époque de la Libération se prêtait naturellement à mettre en exergue ces faits de Résistance à l'ennemi. Bien plus que ça, Christian-Jaque oppose Elisabeth Rousset alias Boule de Suif, prostituée au grand cœur et bonne patriote aux autres personnes de la diligence qui ne cessent de montrer leur mépris face à Boule de Suif et leur lâcheté ou compromission fasse à l'ennemi.
Les personnages sont entiers et bien manichéens mais le contexte de 1945 suffit à expliquer ce parti pris bien compréhensible. On va dire qu'il s'agissait d'être bien démonstratif
On prend vraiment plaisir à voir ce film qui est très bien joué même si les attitudes des uns et des autres sont un peu appuyées, un peu théâtrales. Il existe en français un adjectif qui décrit les personnes hautaines, maniérées typiques d'une classe bourgeoise qui ne fraie pas avec le tout-venant : c'est "prout-prout"... mais ce même adjectif me fait toujours penser à autre chose, plutôt nauséabond, si vous voyez ce que je veux dire. Et chaque fois que je vois ce film, je ne peux m'empêcher d'associer précisément cet adjectif à ces personnes dont on ne voit que les haut-le-cœur, les mimiques dégouttées et bien plus grave leur comportement qui peut se révéler bien plus dépravé que celui d'une prostituée qui, ici, est capable de dévouement et de sacrifice pour le bien public.
La bande -son est très curieuse. En effet, elle débute par une tonitruante et martiale 9ème symphonie avec son "hymne à la joie" jouée et chantée bien plus brutalement qu'elle n'est jouée aujourd'hui. De même, un peu plus loin, un des officiers un peu mélomane, joue la douce "sonate au clair de lune" sur un piano dans un château réquisitionné en même temps qu'un autre qui fait des cartons sur des œuvres d'art ... Comme si en 1945, on ne pouvait qu'assimiler Beethoven à l'occupant (nazi) ...
D'un point de vue de la distribution, l'honneur revient à Micheline Presle qui interprète le rôle de Boule de Suif. C'est probablement un de ses meilleurs rôles au cinéma tant elle symbolise parfaitement l'abnégation et l'esprit de sacrifice d'une femme issue du peuple.
Le choix des costumes n'est pas non plus innocent. Elle est la seule personne à porter des habits clairs par rapport aux autres personnages y compris les autres femmes. Comme si elle était l'image de la Vertu. De quelque chose qui est propre.
Ensuite, il y a le personnage de Cornudet, un démocrate qui soutient Boule de Suif, joué par Alfred Adam. Il s'opposera à l'establishment des bourgeois et à leur compromissions avec l'ennemi. Il est l'image de la Résistance.
Jean Brochard joue le rôle d'un bourgeois parfaitement hypocrite devant sa femme mais dont l'oeil égrillard s'allume à l'idée de "Boule de suif" : parfaitement écœurant. C'est bien sûr l'image du "collabo".
Et la meilleure, comme de bien entendu, c'est Gabrielle Fontan dans le rôle de l'aubergiste, toujours ronchon, toujours bougonnant mais toujours lucide.
Ce film de Christian-Jaque se regarde aujourd'hui toujours avec plaisir et surtout un bon second degré comme on regarde un western avec les bons d'un côté (ceux qui ont un chapeau clair) et les méchants de l'autre (ceux avec un chapeau sombre)