Boulevard du crépuscule par StefSt
Comme dans Double Indemnity ( Assurance sur la mort ) un autre chef d’œuvre tourné 5 ans plutôt, Wilder utilise le même procédé narratif : le flash-back et surtout la voix-off ( d’outre-tombe ) qui permet de commenter l’action tout en distillant, à la manière des récits de Raymond Chandler, une ironie amère. Le film d’ailleurs commence comme un film noir, passe par le gothique et l’étrange (l’enterrement nocturne du vieux chimpanzé dans le jardin désolé ) et s’achève en drame cruel de la folie. Ces habiles ruptures de ton, ce glissement progressif d’un climat vers un autre font de Boulevard du Crépuscule une sorte d’anthologie critique des grands genres hollywoodiens.
A l’origine, le film était écrit pour l’explosive et mamelue Mae West , sex-symbol des années 30, qui refusa le rôle de Norma Desmond en prétextant qu’elle était encore trop jeune pour le rôle.( !!!!) Wilder sollicita alors Greta Garbo qui s’était retirée des plateaux de cinéma depuis 1941." I want to be alone." Puis ce fut au tour de Mary Pickford, ex-petite fiancée de l’Amérique, de décliner l’offre. C’est sur les recommandations de George Cukor que Wilder propose enfin le rôle principal à Gloria Swanson, immense star du muet, actrice fétiche de Cecil B.DeMille et d’Eric Von Stroheim. Et c’est là que la mise en abyme opérée par Wilder devient troublante et vertigineuse pour les uns, cruelle pour les autres ( notamment le très partial Georges Sadoul qui dans Histoire de l’Art du Cinéma torpille assez injustement le film en fustigeant la morbidité et le voyeurisme du propos ) Dans la séquence où Norma projette à Joe, devenu son amant et son collaborateur, un vieux film muet qui a fait d’elle une star, il ne s’agit pas d’une fiction ou d’un trucage quelconque mais d’une séquence authentiques de Queen Kelly ( 1928 ), film mythique et martyrisé par la censure et les studios, interprété et produit par Gloria Swanson et dirigé par Eric Von Stroheim qui, dans Sunset Boulevard, tient bien évidemment le rôle de Max Von Mayerling, majordome étrange et dévoué de Norma Desmond. Séquence amère et poignante où le génial Stroheim présente son propre film, le film maudit qui l’obligera à quitter Hollywood et à s’exiler en Europe. Quant à Cecil B. DeMille, il incarne son propre rôle et Wilder le filme au travail sur le plateau de Samson et Dalila qui sortira en 1949. Cette séquence d’ailleurs donnera lieu a une merveilleuse idée de mise en scène. : Norma Desmond rend visite au célèbre metteur en scène botté sur le plateau. Personne ne la reconnaît vraiment. Comédiens et techniciens s’affairent autour d’elle. Soudain, le microphone du perchman entre dans le champ, s’approche de l’ex-vedette et frôle la plume de son extravaguant chapeau. La star du muet observe alors l'étrange objet (emblème du cinéma parlant triomphant ) avec stupeur puis mépris et le repousse violemment hors du cadre…
Participeront aussi à cette fameuse mise en abyme, dans leur propre rôle : Buster Keaton et Hedda Hopper, ancienne vamp des années 20 devenue « columnist » au commérage acide et redouté du tout Hollywood… Bref, jeu trouble entre réalité & fiction où le spectateur, à l’instar de Norma Desmond, se perd peu à peu. Là réside l’une des plus grandes forces du film.
Le ton, comme souvent chez Wilder, est sarcastique, brillant et acide mais la cruauté ne s’exerce jamais au détriment des « déchus ». Dans ce jeu de massacre, dans ce douloureux divorce qui s’opère entre les anciens et les modernes, le parlant et le muet, le grand Billy semble déplorer la flamboyance révolue du Hollywood d’hier :
Joe Gillis : Vous êtes Norma Desmond, l’actrice du muet ? Vous étiez une grande actrice !
Norma Desmond : Je suis toujours une grande actrice ! C’est le cinéma qui a rapetissé.
Film-miroir sur l’industrie du cinéma, sa schizophrénie et son pouvoir vampirique, Sunset Boulevard est un chef d’œuvre.
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